Damned, not you, Mr Steed !

« How boring ! » s’est exclamé John Steed à l’idée de passer l’été à la plage. Filons avant d’affronter la vulgarité de l’humanité en tongs…

Le sport, très peu pour Steed. Tous ces David Beckam courant en boxer Dim pour des millions d’euros, cette exposition permanente du muscle, du couillu, du poil, du biceps, il considère cela comme inutile et vulgaire.

Partir la veille du mois de juillet, quel coup de Trafalgar, Mr Steed ! Alors, ça ne vous tente pas, les plages bondées, le sable qui crisse sous les semelles, les glaces qui dégoulinent, les gros nu-pieds sur orteils disgracieux, très peu pour vous. Vous leur avez toujours préféré les derbies fermées et bien cirées. Le parasol ? Et puis quoi encore ? Un parapluie de chez Bolton and Sons, ça pare à tous les imprévus. Le chapeau ? On n’est jamais plouc avec un couvre-chef en forme de melon, en période estivale c’est approprié. Et tellement plus chic qu’un bob, cette immonde invention qui rendrait benêt même un George Clooney.

Damned, John Steed, vous étiez un sacré phénomène ! Vous avez toujours été là où l’on ne vous attendait pas. En pleine époque sixties où couleurs psychédéliques, psychotropes hippies et shag ad libidum battait leur plein, John restait tweed cinquante nuances de grey, champagne millésimé et galanterie surannée. Même envers cette diablesse de Mrs Peel et ses cuissardes vinyles so terrific. Il en aurait bien fait son tea time, mais son petit faible pour Emma a toujours empêché la gaudriole. A ce propos, Mr Steed est resté muet comme un haddock sur la véritable nature de ses relations avec Mrs Peel : complice ? Amie ? Collègue ? Amante ? Leurs petits sourires en coin respectifs peuvent tous suggérer l’une de ces interprétations. Et les appellations Mr Steed et Mrs Peel ou Emma et John, sur un ton des plus politiquement correct, sont autant de brouilleurs pour percer le mystère. J’imagine très bien Steed faire l’amour à Emma et de conclure d’un chevaleresque «So, Mrs Peel, happy ? ». Et celle-ci de lui rétorquer, un brin goguenarde, son port de tête aristocratique levé vers lui comme un défi « Of course, John… ». Mais je n’ai jamais osé mettre les pieds dans le pudding. C’est tout juste si j’ai évoqué sans avoir l’air d’y toucher, la beauté et le sex-appeal de sa partenaire emblématique de l’âge d’or des Avengers*. Sa chevelure auburn, ses tenues provocantes comme il faut, sa silhouette longiligne, son charme, son intelligence (n’oublions pas Mrs Peel était Docteur en médecine, veuve, héritière de l’empire Knight, championne de bridge et suffisamment visionnaire pour s’opposer au remplacement de l’homme par la machine) sa subtilité… J’ai eu beau le regarder avec l’instance d’un corgi devant un shortbread, l’œil humide, avide de confidences au soir de sa vie, John Steed s’est contenté de soupirer et de m’adresser un de ces sourires désarmant. Il s’est levé promptement de son fauteuil-club au cuir patiné par les ans, s’est éclipsé un instant vers le bar en acajou, puis est revenu, alerte, me remettre entre les mains un blend à l’envoûtant parfum de tourbe et de miel. D’un « Cheers ? » au ton amical n’appelant aucun refus, il a levé son verre pour s’abreuver longuement, précieusement, du breuvage. Les prunelles perdues, où se trouvait John Steed ? Etait-il remonté 50 ans en arrière dans le Londres dans sixties ou bien ce silence était-il dû à l’analyse des arômes du whisky restés sur ses papilles ? Subissant-il le feu de l’alcool entravé de saveurs des landes écossaises ou bien revivait-il l’agent secret qu’il avait été dans la force de l’âge ? Il avait la pudeur de ne pas m’en faire part.

Car il y avait un bonhomme, oh oui ! Un mètre quatre-vingt de chairs jamais exposées au narcissisme athlétique. Mr en Steed, en maillot ? Damned ! Vous le prenez pour ce grand couillon de Tarzan qui n’a jamais su se déplacer de liane en liane autrement qu’en australien en fourrure ? John Steed restait ha-bi-llé en toutes circonstances. Veste, pantalon, chemise bien boutonnée, cravate ou trois-pièces pour les grandes occasions, un pull à col roulé le week-end en plein hiver à la rigueur, that all. On soupçonne chez Steed un début de brioche habillement dissimulée par Bailey and Weatherill, son excellent tailleur et accessoirement celui de James Bond. Le sport, très peu pour Steed. Bien sûr à Eton, il a eu tout le loisir de prouver son aptitude au polo, à l’aviron ou je ne sais quel autre activité épuisante, mais à partir du moment où il a été adulte et vacciné, l’homme préfère lever du coude, sans excès, pour s’octroyer un millésime que pour renvoyer les baballes. Tous ces David Beckam courant en boxer Dim pour des millions d’euros, cette exposition permanente du muscle, du couillu, du poil, du biceps, il considère cela comme inutile et vulgaire. Un serviteur de Sa Majesté n’a pas besoin de se désaper pour prouver sa valeur. Par contre, un très bon revers à l’escrime ou un bon vieux bourre-pif à quelque savant fou, valent tous les discours hygiéniques barbant. Manger-bouger-un-fruit-trois-légumes-par-jour. On s’en fout ! Steed carbure à l’orge ou à la pomme, mais sous forme liquoreuse. Ça compte tout autant.

Car sous ses airs de gentleman de Stable Mews, John Steed était jouisseur de tout : des femmes, qu’il aimait déshabiller du regard.  De la bonne chère, en fin gourmet il fréquentait les bonnes tables. Du malt, dans les bons vieux pubs.  Du vin, français forcément, et du champagne, son péché mignon qu’il aimait sabrer avec Mrs Peel à la fin de chaque aventure les ayant fait triompher sur des lords psychopathes voulant détruire le monde. A force de ne pas être tendance, Steed est resté indémodable. Sa Bentley début de siècle, ses codes vestimentaires jouant sur la valeur sûre d’une coupe bien ajustée et d’un tissu de bonne facture, sa préférence pour le parapluie-lame au revolver, sa raie sur le côté légèrement gominée, ses chaussures pointues Pierre Cardin lui donnant la parisian touch, en feraient pâlir les hipsters. Sans effort, Steed s’est coulé avec un naturel confondant dans la peau du gentleman aimant botter en touche, pratiquant la répartie humoristique pour séduire l’ennemi, sensible au charme féminin tout en restant courtois. Qu’aimait-il le plus : posséder les femmes ou les séduire ? Ses jouxtes verbales avec la délicieuse Mrs Peel témoignaient d’un attrait pour un Saint Graal qui se mérite. Une fine amor mâtinée d’impertinence.

La mort ? John Steed l’a toujours méprisée. Il faut dire qu’il y a échappé tant de fois ! Etre sur le point de passer l’arme à gauche et de toutes manières originales possibles, il connaît. Alors, à un âge avancé, la Grande Faucheuse lui est indifférente. Tout juste est-elle une compagne désagréable qui viendra un jour contrarier son sherry de cinq heures ou lui faire rater la retransmission d’un match de polo. Damned, que c’est emmerdant !                                                                                                                                            En vrai gentleman, John Steed a eu le bon goût de s’éclipser au début de l’été, à l’heure où tout le monde est trop occupé à garder égoïstement ses pieds en éventail dans le sable chaud pour ne pas avoir le mauvais goût de le pleurer ostensiblement. Tout juste daignera-t-on dire, surpris, avant l’apéro « Patrick Macnee, John Steed, mort ? Il avait quel âge déjà ? Oh, 93 ans ! Pas mal pour un acteur ! C’est un bon chiffre ! Il en aura bien profité le bougre !« , et de s’en retourner vaquer au plus important, à savoir la température du rosé. John Steed s’en serait voulu de faire les gros titres à la rentrée de Septembre. Le monde a des choses tellement plus importantes à penser. Entre le crissement des cigales et le reflux des vagues, c’était le moment idéal pour filer à l’anglaise. God bless you, Mr Steed !

*The Avengers :  nom original de la série traduite en français Chapeau Melon et Bottes de Cuir.

Etre intemporel et hipster avant l'heure grâce au chapeau melon, parapluie et costume chic !
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Savoir mener l'enquête avec style et Mrs Peel...
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Draguer Emma Peel ? Oui mais, dans une barque sur un étang paisible avec canotier et champagne...
Draguer Emma Peel ? Oui mais, dans une barque sur un étang paisible avec canotier et champagne…
... ou dans un club S.M, où, enquête oblige, il faut absolument s'infiltrer et jouer le jeu !
… ou dans un club S.M, où, enquête oblige, il faut absolument s’infiltrer et jouer le jeu !
L'art de reluquer sa partenaire sans en avoir l'air...
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La fine amor avec parapluie et chapeau melon
La fine amor avec parapluie et chapeau melon
Bien avant Uma Thurman, Diana Rigg alias Emma Peel :
Bien avant Uma Thurman, Diana Rigg alias Emma Peel : »Hey, Steed, what did you expect ? »
Avec John Steed, pas de privation : il n'y a pas d'heure pour se faire un petit plaisir ou boire un sherry...
Avec John Steed, pas de privation : il n’y a pas d’heure pour se faire un petit plaisir ou boire un sherry…
A la fin de chaque enquête, on sabre le champagne au revolver. Un millésimé, ça se mérite, damned !
A la fin de chaque enquête, on sabre le champagne au revolver. Un millésimé, ça se mérite, damned !
Cheers, Mrs Peel ?
Cheers, Mrs Peel ?
Jamais son mon chapeau melon de chez  Hemming’s and Paul, à St. James. Un gentleman reste imperturbable, même par 40°.
Jamais son mon chapeau melon de chez Hemming’s and Paul, à St. James. Un gentleman reste imperturbable, même par 40°.
Good bye, Mr Steed !
Good bye, Mr Steed !

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