La part de l’Ange

Les cieux ne distinguent pas ce qui est bien et juste. D’une régularité aveugle de coucou Suisse, ils fauchent les vieillards comme les jeunes Peter Pan de 37 ans.

Il avait une gueule d’ange écorché. Il était beau, il était vif avec un sourire canaille. Un visage taillé à la serpe cachant mille contradictions, des rébellions rentrées, une fragilité encore adolescente. Un drôle de prénom sorti des calendriers jaunis à la Jeunet, assorti d’un patronyme d’une douceur sucrée. Sacré acteur que j’ai adoré dans ‘Un long dimanche de fiançailles’, mais bien plus encore avec sa maladresse sensuelle face à Emmanuelle Béart dans ‘Les Égarés’, j’ai aimé aussi sa jeunesse insolente dans ‘Embrassez qui vous voudrez’. J’ai raté, je le confesse la grâce féline de son Yves Saint-Laurent en Haute-couture tourmentée. Pourtant, j »ai aimé cet acteur singulier, discret, dont l’esprit semblait être tourné vers un ailleurs. J’avoue ne jamais avoir compris cette publicité imbécile pour Chanel, bien que réalisée par Scorsese, avec cette phrase en anglais incompréhensible (« I’m not going to be the person I’m expected to be anymore »). Mais ce qui m’a fait pardonner cet écart publicitaire, sans doute une idée brillante de son agent, c’est cette désinvolture qu’il y mettait. Incontestablement, ça le faisait profondément suer de tourner pour un tel navet. Tout cet agacement transpirait dans sa façon de cabotiner dans cette Chanellerie.

En dépit de cela, il restait beau, avec cette fossette revêche, telle une cicatrice de piraterie. Un visage oui, une attitude, une discrétion aussi ces dernières années. Gaspard Ulliel ne semblait pas courir les soirées people, préférant son statut de père depuis 2016. Et nous voilà, en janvier 2022, avec à nos portes, une présidentielle qui s’annonce mal, une Europe identitaire, un chaos écologique et sanitaire. Du moche partout. Le 15 janvier dit ‘le jour le plus déprimant de l’année ‘. Tout était joué. On était presque au bout de ce début pourri, bientôt janvier serait plié. Et puis, hier, le 19, mois des perce-neige et des galettes des rois, la nouvelle tombe. L’accident bête et méchant. L’ absence sécuritaire du casque qui condamne. Énième rébellion de l’acteur ou simple oubli ? Peu importe. Gaspard Ulliel, gueule d’ange et sourire canaille, nous quitte avec fracas et sans la politesse d’une longue maladie. Une chute au pied d’une montagne, la brutalité d’une destinée brisée sous des cieux d’un bleu implacable, persuadé de sa légitime pureté. Les cieux ne distinguent pas ce qui est bien et juste. D’une régularité aveugle de coucou Suisse, ils fauchent les vieillards comme les jeunes Peter Pan de 37 ans. Bêtes et méchants. Hara-kiri, on vous dit. Reste un grand vide au seuil de cette nouvelle année. Et une neige immaculée, statufiée, cruelle. Gaspard Ulliel n’est plus.

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