Dans la peau de…FACEBOOKER

Dans un petit jeu pervers, on s’épie en connaissance de cause. Pervers pépère, pervers Facebooker…

J’ai pas pipé aujourd’hui. Pas un mot, pas un like, pas un état d’âme. Nothing on my mind. Pourtant, ma page me faisait dangereusement de l’œil, Facebook m’invitait à dire « what’s on your mind » avec un point d’interrogation des plus tentateurs. Mais j’ai tenu bon. J’ai pas pipé, pas twitté, pas parlé, rien de rien. Nothing on my mind.

Il n’y a pas si longtemps, j’ai encore fauté. Je n’ai pas pu résister. J’ai « liké », j’ai posté, commenté : MDR, LOL, un smile à un de mes « friends« , un smile à un autre. Mieux qu’une prostituée de Pigalle, je poke tout le monde, j’aime tout le monde, je suis leur meilleur client comme ils sont les miens. Miroir de mon désir, dis-moi qui m’aime aujourd’hui ? Qui kiffe my life ? C’est un peu une roulette russe : je poste et j’attends. Qui m’aime me like ! Et quand rien ne vient, c’est la déprime. Dieu ne reconnait toujours pas les siens. Facebook, c’est la nouvelle arène sociale. The place to be pour les pétris de solitude et de reconnaissance. Mieux qu’un dîner en ville, tout s’y murmure, tout y circule à vitesse éclair. Mieux qu’une soirée échangiste, on y complète son carnet d’adresses plus ou moins intéressé, les opinions politiques s’affirment, les rumeurs fleurissent, les masques tombent. Dans un petit jeu pervers, on s’épie en connaissance de cause. Pervers pépère, pervers Facebooker…

Je suis un Facebooker dangereusement addict. Dès le matin, c’est plus fort que moi, il faut que je prenne des nouvelles des autres. La page d’accueil se déplie alors dans un déversement ininterrompu de news toutes fraîches de mes friends. Untel a été dans une boîte de nuit ultra sélect, untel est en partance pour un week-end éclair dans une capitale européenne, untelle a un nouveau job forcément passionnant. Il y en a même qui donnent leur bulletin de santé détaillé. C’est toujours un peu indécent de savoir qu’un friend a trempé dans son vomi toute la nuit, qu’un autre a chopé la gastro. C’est toujours un peu dingue, ce manque de pudeur. Inconsciemment, on visualise son friend, la tête dans la cuvette ou le postérieur inexorablement coincé pour cause de logorrhée anale. C’est plutôt déshonorant, voire carrément gonflé d’aller jusque là. J’ai beau être un facebooker sévèrement atteint, je garde ma dignité.

J’ai pas pipé aujourd’hui. Rien twitté, rien liké, nothing on my mind alors que mon cerveau me hurlait de poster n’importe quoi. Il faut dire que j’ai vécu des aventures passionnantes ces derniers jours. De quoi faire pâlir d’envie tous les friends : j’avais dîné dans le japonais le plus cher de Paris , on m’avait offert des fleurs, j’avais croisé Maïween dans le métro, mon chat s’était perdu trois heures dans le quartier, j’allais me laver les cheveux et peut-être même oser une nouvelle couleur… Rien que du lourd, du passionnant dans my life ! De quoi récolter au moins cinq avis positifs, de quoi semer dans la tête des friends la pointe de jalousie nécessaire pour ramener, l’espace d’un instant, leurs vies à quelque chose de banal. Aujourd’hui, j’étais plus in que les autres. Si j’avais twitté, posté, dit what’s on my mind, on m’aurait à coup sûr qualifié d’outsider de la journée. Je tiens bon pour le moment, pourtant ma main commence à trembler un peu tant appuyer sur le clavier la démange. Pendant ce temps, la planète Facebook continue de tourner : untel a encore posté des photos de son lieu de villégiature, une île paradisiaque. Un autre relaye une vidéo qui buzze à mort sur internet, untel a été opéré en urgence, mais du fond de son lit de convalescent, twitte sa température rectale. Il est même devenu « friend » avec son hôpital, lui aussi sur Facebook.

Mais comme j’ai rien twitté, rien liké, rien on my mind, je suis mort socialement. Enfin, momentanément. Tapi dans l’ombre, je vais attendre que mes friends se manifestent, s’inquiétant de ce silence soudain, de cette absence de like, de MDR, de photos instantanées, preuve de notre être au monde… ça ne va pas être facile, il va falloir tenir, serrer les dents, être de glace devant le dernier post d’untel à qui il arrive quelque chose d’extraordinaire, faire la politique de l’autruche face aux sollicitations d’un event en attente: pas même un yes, un no, un maybeà cliquer. Rien de rien. Faut faire le mort. Faut pas piper, pas twitter, pas liker. S’enterrer et jouir douloureusement de ce décès symbolique. Pas twitter, liker, piper. Briller par l’absence pour mieux renaître.

Le Bûcher des Vanités... qui m'aime me "like"...!
Le Bûcher des Vanités… qui m’aime me « like »…!

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