Mein Gott, tout foutait le camp ! Quel démon piquait tous les acteurs de Sissi ? Vivre dans une opérette en carton-pâte ne leur suffisait pas ? Il fallait encore qu’ils s’émancipent ! Mais qu’est-ce qu’ils avaient tous, bordel de Scheiß !

Ce n’est jamais de la tarte d’être le gendre idéal. Encore moins quand il s’agit d’une nation entière tournée vers le passé. Avec sa raie sur le côté, ses cheveux blonds, son sourire affable et sa séduction mesurée, Karlheimz Böhms avait tout, oui, tout du gendre idéal. Depuis 1955, il était cinématographiquement marié à Sissi, l’Impératrice d’Autriche et ne cessait ne faire valser sa partenaire, Romy Schneider, dans les bals de Schönbrunn. Beau gosse, Karlheimz, mais pas assez pour faire tomber les filles, porter du cuir ou braquer des banques. Quand on a été élevé entre les notes de musiques des plus grands compositeurs grâce à un père célèbre chef d’orchestre et une mère chanteuse d’opéra, le destin vous pousse gentiment vers le droit chemin. Pour Karlheïmz, ce sera plus Tannhäuser, Danube Bleu et crème fouettée que Love me Tender, moto et rock’n’roll.
Natürlich, Karlheimz débuta auprès d’Erik Von Stroheim et Hildegarde Kneff dans La Mandragore et divers heimat relevant de la bluette folklorique mêlant choucroute, loden et joie de vivre. C’était ainsi. La guerre était finie, il fallait redonner de l’espoir en technicolor. Son profil de boy-scout bien peigné fait craquer der Gross Papy Marischka : wunderbar ! Il avait trouvé son Franz pour sa Sissi ! Sans trop y croire, à 27 ans, voilà notre Karlheimz affublé Empereur d’Autriche. En tenue militaire, droit comme un i, plein de conscience et de rectitude impériale, Karlheimz incarnait un Franz Joseph plus cul-cul qu’aigle à deux têtes, plus Laurent Romejko que Clark Gable. Pour la sensualité entre Sissi et Franz, on se contentera de franche camaraderie ou de relations aussi convenables que les deux rapaces symboliques du pays accolés l’un à l’autre. Franz et Sissi, c’était la version romantique de l’auberge des culs-tournés. Pour les producteurs de la trilogie, pas question d’imaginer une sexualité entre les deux personnages, même suggérée dans les prudes années 50. Que Sissi et Franz soient parents dans Sissi Impératrice relevait du miracle. Après moult tergiversations, producteurs et réalisateur avaient pris le risque, ya, ya, on vous parle bien de risque, de leurs imposer une progéniture. On ne fait pas les enfants par l’oreille, me direz-vous, eh, bien, au royaume de Sissi, si ! A nouveau, Karlheimz Böhms était le dindon de la sachertorte : pantomime politique, il était à présent asexué. Pas question de faire tomber une vierge en pâmoison. Franz était aussi raide que la justice face au conflit austro-hongrois, mais pas face à la charmante Romy Schneider.
Bien que marié et jeune père, Karlheimz n’était sans doute pas indifférent au charme de Romy. Il n’y a qu’à visionner le making-of du film pour le voir tourner autour de sa partenaire et la dévorer des yeux par moment. Si Romy Schneider aimait le flirt à chacun de ses films, elle restait sur la défensive. Karheimz était adorable, mais elle avait un penchant pour les blousons noirs, pour preuve : son dernier flirt, Horst Buchholz, le James Dean allemand et futur Sept Mercenaires. Ses cheveux de jais et son regard noir annonçaient un Delon. Karlheimz se contentait donc de vivre l’instant présent, les moments sympathiques auprès de Romy Schneider à qui il prédisait une grande carrière. Drague ou sincérité ? Romy riait aux éclats quand il lui disait cela avec le plus grand sérieux du monde. Derrière ses airs de beau-fils bien léché, Karlheimz avait déjà saisit le potentiel dramatique de sa partenaire… « Karl aurait pu continuer à tourner Sissi toute sa vie« , dira plus tard Romy Schneider. Alors, quand en 1957 la belle fit retentir un nein ferme et définitif au quatrième volet, Karlheimz se retrouva fort dépourvu. Finies les sucreries impériales, les gondoles à Venise et les morigénassions quotidiennes par sa mère-douairière. Romy en avait ras la crinoline et s’en allait vivre sa vie d’actrice et de femme de l’autre côté du Rhin. C’était aussi l’occasion pour lui de se libérer de l’image de gendre idéal bon à servir des knödel le dimanche au repas familial, souriant en pull jacquard et raie impeccable. Il était temps de leur en faire voir de toutes les couleurs ! En le libérant de sa cage dorée, Romy lui avait ouvert les yeux. Le cinéma et la vie ne se cantonnaient pas qu’aux montagnes pures, aux valses et aux guinguettes impériales. Il était temps de voir plus grand, plus fort, plus haut. Attention, ça allait péter !
En 1960, Karlheimz interpréta enfin un salaud à la manière d’un Anthony Perkins allemand dans Le Voyeur de Michael Powell. Il y jouait le rôle d’un tueur filmant froidement la peur sur ses victimes, des mannequins féminins, avant de les assassiner. Franz, un assassin ? Franz, le gentil-gendre-idéal, un pervers fou ? Après le dévergondage de Romy avec un jeune coq gaulois nommé Alain Delon, ç’en était trop ! Le film fut plus un succès d’estime et de cinéphiles voyant l’arrivée d’un cinéma moderne, qu’un carton au box-office. Directement mis en concurrence avec Psychose la même année, Le Voyeur marqua la fin de la carrière germanique de Karlheimz. L’arrière-garde qui pleurait encore Elizabeth d’Autriche et la gloire passée de l’Empire ne lui pardonnera jamais cet écueil cinématographique. Les bretzels, la valse et la bière étaient des choses sacrées. Comme elle en avait voulu à Romy Schneider, leur petite fiancée nationale, de s’être enfuie à Paris par amour et par soif de liberté, elle ferait de même pour le malheureux Karlheimz. Mein Gott, tout foutait le camp ! Quel démon piquait tous les acteurs de la série ? Vivre dans une opérette en carton-pâte ne leur suffisait pas ? Il fallait encore qu’ils s’émancipent ! Mais qu’est-ce qu’ils avaient tous, bordel de Scheiß ! Franz assassinait des jeunes femmes tandis que Sissi se déshabillait sous la caméra de Visconti*, mais où allait leur monde ? Plutôt que d’essayer de comprendre, la vieille génération préférait tuer ce qu’elle avait adoré. Romy Schneider était vilipendée en Allemagne depuis son refus d’un Sissi IV, il en serait de même pour l’affreux Karlheimz, fils indigne de toute une nation.
Rejeté par son pays comme une currywürst avariée, Karlheimz Böhms tourna encore une décennie pour des réalisateurs européens et américains. Lui aussi sa carrière allait vers un ailleurs où on ne le rejetait pas. Fait amusant, Romy et Karlheimz tournèrent pour Jacques Deray, à quelques années d’intervalle (La Piscine pour elle en 1968, Rififi à Tokyo pour lui en 1962). Mais un des rôles majeur post-viennoiseries de Karlheimz fut pour Les Quatre Cavaliers de l’Apocalyse en 62, de Vincente Minnelli. Cette fois, il était question de seconde guerre mondiale, de sang, de saloperies et de larmes. Karlheimz réglait aussi ses comptes avec cette génération de vieux allemands qui voulaient ignorer l’horreur nazie, s’accrochant à une époque impériale aussi futile que révolue. L’Allemagne avait besoin qu’on lui montre la vérité en face, même si elle revêtait tous les visages de l’atrocité. Cette fois, il n’y aurait pas de valses pour couvrir le bruit des bottes ou les hurlements dans les camps. Ce serait le dernier tour de Karlheimz au cinéma.
Après quelques films au début des années 70, dont un de Rainer Fassbinder, l’acteur n’était plus le jeune premier lisse du Cinéma de Papa. Si l’homme était toujours habité par cette prestance naturelle, si son visage avait gardé cette droiture empreinte de solennité, il arpentait désormais le Sahel pour venir au secours des populations dénutries. Il avait monté Menschen für Menschen au début des années 80, s’était remarié à une africaine prénommée Almaz, avec qui il avait eu deux enfants. Les nostalgiques de la cour d’Autriche devaient en valser dans leur tombe ! Lorsqu’on lui posait des questions sur son glorieux passé d’empereur de cinéma, les yeux de Karlheimz se durciraient à la manière d’un Kaïser, il répliquait, agacé : « Qu’on ne me parle plus de Sissi, mais plutôt de la faim en Afrique !« . Le temps d’Aimer, boire et chanter était clos. Dans la terre désolée de ce pays en pleine consomption, l’écœurante sachetorte n’avait pas sa place. Plus tard, Karheimz reçut l’Ordre du Mérite allemand pour son engagement humanitaire, puis plus tard le Prix Balzan. Cela valait toutes les médailles factices de ses costumes impériaux de pacotille. Enfin, il était un Juste, à sa manière. Il quittait ce monde en ayant fait le bien. D’empereur niais et fantoche, il était devenu un homme soucieux de son prochain, de ses frères de Terre. C’est sans doute son attitude la plus princière et là le vrai rôle de sa vie.
* Romy Schneider tourna en 1961 un sketch de Lucchino Viconti, « Boccace 70 ». Ce rôle la fit se montrer pour la première fois nue à l’écran.











Bonjour Karl, je suis rêveuse de vous depuis ma tendre enfance ou j ‘ai regardé pour la 1ère fois la série des Sissis, et encore aujourd’hui vous me faites rêver, car c’est la semaine des Sissis, adorable, cela resteras gravé jusqu’ a mon dernier souffle…. encore merci