A Paris, on finit toujours par parler d’Immobilier

Là-dessus se greffe généralement le sempiternel couple-avec-enfants. Eux sont encore plus dans la panade que les autres. Il faut pouvoir caser marmots, auto et labrador. Autant chercher une licorne, ils auront plus de chance d’en trouver qu’un pavillon de banlieue ne coûtant pas le PIB d’un état africain.

"Et toi, Roger, tu comptes acheter ou rester attentiste ?". A Paris That is the question ! (Photos issue de Mad Men, saison 5)
« Et toi, Roger, tu comptes acheter ou rester attentiste ?« . A Paris That is the Question ! (Photo issue de Mad Men, saison 5)

C’est indéniable, inévitable, incontournable. A l’apéro, au boulot, dans le métro… A Paris, on finit toujours par parler immobilier. C’est un peu comme la maladie d’Hamlet: « Ah, voilà mon accès qui me reprend !« , mais en moins shakespearien …. On ne confesse pas, ou alors avec une certaine honte, regarder sur M6 toutes les émissions au faux suspens, « Recherche appartement ou maison » « Maison à vendre« , le soir en semaine, en pyjama pilou, bien calé dans son canapé, on décortique, en couple, les aventures immobilières des chercheurs d’Eldorado. Pendant que Stéphane Plaza s’échine à faire le bonheur de ses clients, on commente : « Ah, l’imbécile, cette maison ne lui plaît pas, elle est géniale pourtant ! On se demande ce qui leur faut…« , « Oh, regarde ce loft en briques en plein Lille, à peine 300 000 euros, mais moi, je saute dessus tout de suite ! Quels idiots de ne pas en vouloir !« . Et de jalouser les heureux provinciaux pouvant acquérir un bien au tarif d’une boîte à chaussures dans la capitale… Le summum de l’émission étant le suivi d’acheteurs parisiens bénéficiant d’un budget astronomique et qui peuvent donc se permettre de faire les difficiles. Généralement, des bobos exerçant un métier créatif qui rend les gens beaux rien qu’en déclinant leurs fonctions dans la société : designer, décoratrice, infographe, galeriste… On leur fait alors visiter des lieux à vendre plein de cachet, des surfaces dites atypiques, car le bobo ne veut pas faire comme le petit peuple, il a une image à défendre, des amis à rendre jaloux. Des lofts bien entendus, où toute notion d’intimité est sacrifiée pour le plaisir de vivre dans un aquarium à l’ameublement de magazine vide et froid, dans le but d’épater son cercle social. Pendant ce temps, devant l’écran, les fous d’immobiliers se récrient : « Quelle chance, ils peuvent mettre plus de 850 000 euros ! Et ils font la fine bouche, en plus ! Salauds de riches ! ». A Paris, on finit toujours par parler d’immobilier. Il y a toujours un pote en quête de la perle rare : un appartement un brin haussmannien, dans un quartier sympa, commerçant, populaire mais pas cheap car la notion de charité a ses limites chez le parisien, mais suffisamment underground pour bénéficier d’un tarif avantageux au mètre carré. Là-dessus se greffe généralement le sempiternel couple-avec-enfants. Eux sont encore plus dans la panade que les autres. Il faut pouvoir caser marmots, auto et labrador. Autant chercher une licorne, ils auront plus de chance d’en trouver qu’un pavillon de banlieue ne coûtant pas le PIB d’un état africain. Et puis il y a les cinglés de l’immobilier, une espèce en voie d’extension. Généralement libres de toute contrainte à biberonner mais locataires, ils cherchent des opportunités, priant pour qu’une guerre mondiale éclate et fasse s’effondrer le marché. Quand ils ne se ruent pas sur n’importe quelle revue émise par une agence de Paris ou de Navarre (les cinglés de l’immobilier aiment se faire du mal en voyant ce qu’ils pourraient posséder ailleurs : longère, maison de maître, fermette de charme, loft chic… pour le prix d’un deux pièces sans ascenseur à Paname) ou passent des heures sur les annonces du net, et quitte à décliner un dîner, ne ratent jamais un numéro La Maison France 5 chaque mercredi soir. Le week-end, ils s’hypnotisent devant Maison+, chaîne câblée élitiste diffusant des émissions de rénovations de maisons anciennes (« Les projets historiques de George Clarke« ), de constructions audacieuses faites de A à Z (« Bâtir son rêve« ), ou de reportages déco (« Les Tribus de Constance« ) où ils découvrent, avec délices, des habitations rénovées par les fameux bobos décomplexés. Ayant habillement spéculé sur le marché immobilier, ils peuvent s’offrir une ancienne usine, rénovée avec goût par leurs soins, meubles chinés à Saint-Ouen ou issus d’héritages providentiels. Ils aiment les sur-fa-ces-a-ty-pi-ques. Ils s’appellent Thibault et Marjolaine. Ils ont souvent deux enfants aux noms improbables (« Capucine » et « André », « Maxence » et « Ondine ») siégeant dans des chambres pleines de jouets vintage mais rangées au cordeau. La mère est insolemment mince et lookée comme un mannequin Rive-Gauche, le père a une barbe cool de cégétiste embourgeoisé. Ils sont bien dans leur peau. Ils ont tout bon. C’est fascinant. Les cinglés de l’immobilier regardent avec délectation et agacement cette brocante à ciel ouvert, admirant leur flair en affaires, leur culot pour avoir osé investir dans des lieux populaires à présent en voie de gentrification. Les cinglés de l’immobilier scrutent le prix du mètre carré au millimètre, s’y connaissent fort bien en matériaux de construction, entretiennent avec une maniaquerie maladive leur appartement en location, sont abonnés à des revues déco haut de gamme, haussent les épaules en ricanant d’une façon méprisante à la vision d’un immeuble dit de standing aux prix prohibitifs et aux finitions médiocres, s’inventent des vies en passant devant des maisons, leur œil d’aigle scanne un mur fissuré, déniche le potentiel d’une habitation délabrée, Google Earth aidant à leurs projets machiavéliques (« Regarde, il y a un grand jardin derrière, on doit pouvoir faire une extension…« ). Vautours parfois dénués de scrupules, ils disent « Cette maison est habitée par une vieille dame seule. Avec un peu de chance, elle n’a pas d’héritier…« . Pourtant, ils n’ont pas la tentation du viager. Trop risqué. Depuis que la centenaire Jeanne Calment a enterré son notaire qui avait souscrit cette transaction en se frottant les mains, pariant que la nonagénaire n’en n’aurait pas pour longtemps, le cas fait jurisprudence dans leurs têtes. Et puis, il leur reste un minimum de déontologie. Oui, à Paris, on finit toujours par parler d’immobilier. Un verre à la main, on suppute, on se refile des infos comme du beurre au marché noir. On devise, on ronchonne. Ils y a ceux qui regrettent l’endettement sur 25 années, d’autres qui parlent sans conviction de s’exiler en Province pour s’offrir un cadre de rêve mais où aucun de leurs amis parisiens n’ira les voir. Excepté un long week-end façon chambre d’hôtes. D’autres envient ceux qui ont le statut de propriétaires. Non pas pour l’appellation aussi ronflante qu’un Label Rouge, mais pour la liberté qu’ils ont de pouvoir faire ce qu’ils veulent. Pourrir leur maison en appelant Valérie Damidot, doubler la mise par des travaux de qualité, choisir un ameublement raffiné pour recevoir. Et puis, il y a les bienheureux. Ceux qui s’en foutent d’être propriétaires. Ils louent. Ils se sentent libres. Leur intérieur parle pour eux. C’est un insouciant foutoir qui se fiche des plans épargne logement : les murs sont décrépis, les étagères sont de traviole, tout est approximatif. Ils peuvent partir quand ils veulent. Ils sont libres comme le vent. Ils flambent à tout bout de champ. Pour eux, l’avenir est comme une pochette surprise. Ils n’aiment pas planifier. Eux ne parlent pas d’immobilier. Ils se contentent d’Être, pas d’Avoir. Avec un amusement de dandy, ils observent ce petit monde parler mètres carrés, prêts à taux zéro, tête à Toto. Oui, à Paris, à l’apéro, au boulot, dans le métro… on finit toujours par parler d’immobilier.

Mais bien sûr, vous pouvez devenir propriétaires... Il suffit de signer avec votre agent, Mr Faust. Méphistophélès pour les intimes...
Mais bien sûr, vous pouvez devenir propriétaires… Il suffit de signer avec votre agent, Mr Faust. Méphistophélès pour les intimes…
Oh, oh... quelqu'un vient oser dire qu'il préfère rester locataire...
Oh, oh… quelqu’un vient oser dire qu’il préfère rester locataire… ou vient d’annoncer son exil en Province dans une maison de campagne. (Photo issue de « Mad Men« )
"Sans déconner, tu comptes vraiment acheter en banlieue ?"
« Sans déconner, tu vas vraiment acheter en banlieue ? What the Fuck !« 
"Ouaip ! C'est décidé : j'investis dans les banlieues populaires mais aux portes de Paris. Et dans quelques années, je revends à prix d'or, les bobos n'y verront que du feu !"
« Ouaip ! C’est décidé : j’investis dans les banlieues populaires mais aux portes de Paris. Et dans quelques années, je revends à prix d’or, les bobos n’y verront que du feu ! Et moi, je m’achète un hôtel particulier à Neuilly… « 

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