Nouveaux Néron de pacotille, pouce appuyant béatement sur leurs téléphones, ils seront empereurs d’un soir ! L’écran télé comme ersatz d’arène antique, ces adorateurs de miroirs aux alouettes plumées regarderont Rome brûler sous leurs yeux, grâce à Eux, pour Eux ! Oh ce droit de Vie et de Mort sur les destinées ! Quel triomphe, quel pied !

La télé a toujours aimé faire passer des vessies pour des lanternes. Et, en matière de mixtion cathodique, on peut toujours compter sur la créativité sans bornes, sans foi, ni loi d’ailleurs, des directeurs des programmes. Avec notre p’tit pull marine, on pensait avoir touché le fond de la piscine. Emissions de téléréalité mettant en bocal des crétins minutieusement castés issus, au choix de la région de Marseille ou du Pas de Calais, apportant leurs accents typiques dans un langage à en faire rougir un charretier, leurs rêves de gloire éphémère, mot dépassant le stade fatidique des deux syllabes et dont ils ne comprendront jamais le sens, leur absence de goût esthétique et d’éducation. Voir des gens à la culture et à l’intelligence en-dessous du niveau de la mer s’entretuer dans quelque contrée paradisiaque faisant passer L’Enfer de Sartre pour le Club Med, ou se tromper mutuellement au bout d’une semaine de séparation (le glorieux « L’île de la tentation« ), ou un jeu basé sur la faiblesse physique et mentale ainsi que la dénonciation d’un individu pour l’exclure du concentré de candidats-raclures appelé pudiquement la communauté, entrainant au passage une mort par arrêt cardiaque et deux suicides (« Koh Lanta » saison 2013)… Oui, on pensait s’être suffisamment traîné dans la boue. Mais, comme l’écrivait Victor Hugo dans ses poèmes pamphlétaires contre Napoléon III : « Ce qui sort de la fange, y rentre« . Et c’est donc avec hardiesse que M6 programme « Rising Star« . Le concept du télé-crochet donne cette fois toute sa place aux spectateurs ayant un compte Facebook. Quiconque votera via son réseau social verra en direct la photo de son profil s’afficher sur un écran géant face au candidat. Quelle puissance ! Quelle ivresse ! Quel frisson ! A en parcourir le sommet du crâne jusqu’au rectum… ! Vous allez voir, ce sont-ils dit du haut de leur building, on va faire croire au public qu’il a Le Pouvoir… plus que nucléaire, non, le vertige, le vrai, d’influer sur le destin d’une star en devenir ! Que ce sera grisant pour ces gogos ! Imaginez-les, sur leurs canapés en polyester, des étoiles plein les yeux à voir leur trombine s’afficher en direct à-la-télé mes amis, oui, à-la-télé ! Ils ne se sentiront plus ! Ils l’auront, leur quart d’heure de célébrité, et pour pas un rond car ce sera gratuit ! Ça ne se refuse pas, hein, la célébrité gratuite ! Ils auront l’impression de faire l’Histoire. Oui, l’Histoire… Et avec un grand H, hein ! Notez ça, Cindy, c’est génial, on le mettra dans le dossier de presse, oui avec un grand H ! Ils seront les nouveaux Néron… Ils seront empereurs d’un soir ! Ils regarderont Rome brûler sous leurs yeux, grâce à Eux, pour Eux ! Oh ce droit de Vie et de Mort sur les destinées ! Oh, quel génie ! Oh quel triomphe ! Oh, quel pied !
Et les chanteurs dans tout ça ? Bah, on s’en fout, ils sont juste un appât pour le public, ils feront de la figuration sans le savoir ! Ce qui compte, c’est la tête du quidam instragrammée en quatre-tiers ! Ce qui compte, c’est les contemplations (pas celles de Hugo, hein ! Rayez ça, Cindy, c’est mauvais !), donc, je disais, les contemplations potentielles de ces millions de téléspectateurs se voyant tout à coup de l’autre côté, ce basculement soudain de l’ombre à la lumière. Un peu comme Sinatra chantant Stranger in the night, (comment ça, Cindy, vous ne savez pas qui est Sinatra ? Franck, voyons… pour les intimes… Ava Gardner, Marylin, Kennedy, le mafia blues, non, ça ne vous dit rien ? Evidemment… bon, alors, oubliez !). Des empereurs en puissance clignotant sur ce mur géant, transcendant les egos de ce jury sans talent, sans jugeote, fort du culte de leur personnalité. Et demain, oh, demain, ils en parleront : « Tu m’as pas vu, hier soir, à la télé ? J’suis passé sur le wall de Rising Star ! LOL ! « . Ça fera boule de neige, la rumeur grossira, et au prochain numéro, ce ne seront pas 3, ni 4, ni 5 millions de téléspectateurs qui suivront et s’enquilleront des fournées monumentales de pub, non, mais 6, 7, 8 millions… ! Ah mes petits Néron, vous allez faire ma fortune ! Vous allez m’emporter sur la lune ! Dancing to the Moon, la, la, la, la… quoi, Cindy ? Vous ne connaissez pas non plus ? Ah, oui, pardon, vous vous écoutez plutôt… oui, ces chanteurs à la mode qui n’ont pas de noms de famille, pas de voix, pas de charisme. Enfin, qui n’ont rien d’ailleurs… Moi ? Non, merci Cindy, je n’écoute pas cette merde-là, moi je suis plutôt dans la catégorie Soul, Jazz, Brel, Ferré, Gainsbar… Ouais, des chanteurs vieux, mais qui avaient du chien et des textes ! Bon, très bien Cindy, c’est fini pour aujourd’hui. Faites-moi un joli Powerpoint pour emballer cette idée relevant du pur génie télé-commercial et envoyez le tout aux attachés de presse, aux programmes télé, aux émissions d’actualités. Ils ne vont y échapper, à la gloire. J’veux du buzz, et qu’ça saute ! Non, pas vous, Cindy… plus tard, Mon Petit…
Nouveaux Néron de pacotille, pouce appuyant béatement sur votre téléphone, l’écran télé comme ersatz d’arène antique, adorateurs de miroirs aux alouettes plumées, benêts béotiens persuadés d’atteindre les étoiles, sachez qu’ A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire…









Note de l’auteur : J’incite tous les lecteurs à éteindre leurs télévisions et à relire Le Manteau Impérial de Victor Hugo (issu du recueil « Les Châtiments », 1853) d’où est tirée la citation dans l’article ci-dessus ou à écouter les chansons de Franck Sinatra…