
Adieu sirtaki, ouzo, poils et féta… Avec la disparition du géant grec, pas de doute, le monde part en moussaka.
Avec sa gueule de pâtre grec, chevelure christique, poids tellurique, allure cosmique, il semblait éternel, Demis. Son ombre immense et rassurante flottait encore, son coffre à la toison d’or émettait toujours chants sirupeux mâtinés de folklore. Demis interprétait l’amûûûûr et l’espoir des lendemains qui chantent. En anglais, en allemand, en espagnol et en français, parakaló̱. Car Demis était avant tout un saltimbanque altermondialiste avant l’heure. Ne vous fiez pas à l’orthodoxie de sa carrure de prêcheur des Météores. Notre Père Roussos était né en Egypte, non loin du Delta du Nil, fleuve promis à la vie et à la résurrection perpétuelle. D’Alexandrie, il en absorbera l’influence arabe, lui qui se définissait comme un pied-noir grec. Chapardeur d’âmes, Demis portera aussi en lui les côtés grecs et italiens de ses parents respectifs, ces caractères méditerranéens qui ont l’art de la tragédie autant que de la commedia dell’arte. Faire la bella figura, même quand ça va mal. Célébrer la paix quand tout semble foutu. Lorsqu’en 1985 Demis Roussos sortira indemne d’une prise d’otages par le Hezbollah*, son esprit tolérant lui fera chanter la réconciliation des peuples.
Hippie précurseur, Demis traverse les sixties psychédéliques en traînant ses nu-pieds à travers sa Grèce originelle, se dit en proie à des visions où, il le jure, l’excès de Restina ou toute autre substance hellénique alcoolisée n’y est pour rien. Demis est pourtant persuadé d’être la réincarnation d’Alexandre le Grand et petit-fils de pharaons. Tant qu’à faire dans les 7 vies, autant choisir le haut du péristyle. Errant de village en village, Demis échange ses talents musicaux contre le gîte et le couvert, ce troc ancestral d’un autre temps. La Grèce de sa jeunesse est une Pastorale originelle pas encore entièrement gangrénée par les armateurs cupides, ces Aristote déshonorant le littoral à coups de corruption et de yachts. Sa rencontre avec le groupe Vangelis entraîne une fusion les emmenant au firmament du Top 50. En tunique pailletée, poitrail moumouté décomplexé à l’époque où le poil symbolisait la virilité ardente pour les hommes et la fin de l’after-shave tyrannique à la Mad Men, où les femmes aux aisselles buissonnières signaient le retour des odeurs musquées et animales, Demis envahissait le monde de cette voix du fond des âges. Rain and Tears, It’s Five O’clock, Quand je t’aime, allaient devenir les adjuvants romantiques indispensables pour serrer en boîte de nuit ou perpétuer sa descendance. On ne le sait pas, mais on doit sans doute notre existence sur cette foutue Terre à Demis.
Tel un prophète appelé vers d’autres missions mystiques, Demis quitte Vangelis en 1970 pour une carrière solo. Si Jésus avait ses 12 apôtres, c’est tout de même lui qui est la seule star sur la croix ! Eh bien, pour notre Mi-Mis, c’est pareil. La gloire, il faut aller la cueillir en solitaire. Si tu veux devenir un Dieu, la scène ne se partage pas. De toute façon, sous les feux de la rampe, il n’y avait plus de place, car Demis avait pris de l’ampleur, vocalement parlant, mais aussi du côté masse corporelle. Presque 150 kilos par moment, et même pas tout mouillé, Nom de Zeus ! On caricature Demis Roussos, mais ce géant, ce pâtre à la crinière pouvant être sauvage comme un siroco, ou roulée en paisible anglaises, oui, cet ours, ce Gargantua tarama en avait sous la cithare : une voix puissante à secouer l’Acropole, des « R » tombant en cascades chaudes, 60 millions de disques vendus en 40 ans carrière, des tours d’univers, des tonnes de fans de tous âges, de tous peuples, un sens de la scène inouï, une présence une carrure, un Héraclès, un géant, un Dionysos ! Mettez une foule de dépressifs bourrés de Xanax face à Demis et dans moins d’une heure, tout le monde danse le sirtaki et la joie de vivre ! Il remuait ciel et Terre, Demis ! Il envoyait du Tzatziki, Demis !
Oh, Demis, en cette période plus que troublée, toi qui a vu ton pays ruiné par les politiques les plus inconséquentes, tu t’es envolé vers un ailleurs, loin des turpitudes matérielles et idéologiques. Partir à 68 ans… 68, le chiffre de la liberté et de la révolte. 68, année des pavés. Demis Roussos a choisi de tirer sa révérence en pleine nuit électorale, où Syriza victorieuse aspire à un avenir meilleur. Adieu sirtaki, ouzo, poils et féta… Avec la disparition du géant grec, pas de doute, le monde part en moussaka.
Mais alors, pendant ce temps… quo vadis ? Ad Patres, du plus haut des cieux mon Demis répond : « Démerdez-vous, moi je vais chanter chez les dieux grecs ! ».
* Le 14 Juin 1985, des membres du Hezbollah détournent le vol 847 de la TWA dans lequel se trouve notamment Demis Roussos et d’autres ressortissants grecs. Gardé captif à cause de sa notoriété, il est finalement libéré au bout de 4 jours de détention et après 3 détournements d’avion jusqu’à Beyrouth. Les terroristes lui offriront même un gâteau d’anniversaire et une guitare ! Les autres otages furent relâchés le 30 juin après de longues négociations. Pour en savoir plus source : http://blogs.rue89.nouvelobs.com/jean-pierre-filiu/2015/01/28/demis-roussos-ancien-otage-du-hezbollah-234159









