
Il était magique le rire de Romy Schneider. Pour commencer ses yeux d’amande se contractaient en un pli irrésistible, faisant disparaître ses deux prunelles aigue-marine dans une flaque en demi-lune. Les lèvres s’entrouvraient sur une dentition parfaite, des perles de nacre encadrées par un sourire mutin avant le grand saut : la mâchoire se déployait alors avec le fracas d’une cascade d’où en sortait un son cristallin, tel le voile de la mariée, ce surnom que l’on donne à l’eau pure de montagne chutant le long de rochers. Deux fossettes enfantines se dessinaient alors, achevant avec grâce le masque théâtral de cette émotion humaine. La tête de Romy se renversait avec volupté, son regard buvait l’infini avec délectation, sa gorge secouée de spasmes qui la contractait dans une pose délicieuse de gamine en pleine poilade. Romy savait rire jusqu’aux larmes. Romy savait émettre un son moqueur de jeune fille mutine. Romy modulait les notes graves dans les trémolos de l’humour. Romy aimait rire. N’allez pas croire qu’elle se complaisait dans un pathos constant. Car elle aimait la vie plus que tout.
Ah, le rire de Romy Schneider… Il commence dans l’antre de Mariengründ, petit chalet d’Heïdi au pied du Nid d’Aigle d’Hitler que Romy dévalait en bergère innocente, camarade de jeu des enfants d’Himmler… Plus tard il y eu les rires avec son frère Wolfi, tous deux jouant avec le tuyau d’arrosage. Nus comme des vers, l’heureuse fratrie jouissait du plein été bavarois : vert sapin et rouge géranium, pain d’épices et bocks de lait frais.
Le rire de Romy Schneider, il cavale dans les couloirs du pensionnat de Goldenstein où la jeune Rosemarie Albach-Rhetty aimait faire des niches à ses camarades… Le rire de Romy Schneider, il résonne dans la peau de Méphistophélès, premier rôle, premier costume, premier émoi d’actrice en herbe…
Le rire de Romy Schneider, il devient nerveux au maquillage, quand son partenaire lui annonce la scène à venir : premier baiser de cinéma et premier baiser tout court. Il empourpre ses joues de jeune fille, il exprime le doute : saura-t-elle embrasser devant le perchiste, le caméraman, la script-girl, le régisseur et toute cette troupe d’inopportuns du 7ème art ?
Le rire de Romy Schneider, il devient euphorique lors des galas de cinéma : champagne, prix d’interprétation, robe à froufrous, twist again dans les bras de ses prétendants.
Le rire de Romy Schneider, il devient ingénu et impérial dans le triptyque des Sissi, crinolines et crème fouettée. Le rire de Romy Schneider, il devient sarcastique quand on lui propose le quatrième volet de la princesse en pâmoison qui lui colle à la peau.
Le rire de Romy Schneider, il est méprisant face au jeune coq Delon lui martelant moqueur « Ich Lieeeebe Diche-e » aussi grossièrement qu’un soldat de garnison draguant la cocotte, il lui fait lever les yeux au ciel d’exaspération… ce Delon, vraiment…
Le rire de Romy Schneider, c’est celui d’une jeune fille de 19 ans qui a la crise d’adolescence tardive. Magda la mère-chaperonne endormie, en catimini, elle rejoint Alain, Jean-Claude et Sophie Grimaldi pour des virées nocturnes dans Vienne. Qu’il est bon de vivre comme dans une valse, parfois. Aimer, boire et chanter. La vie devrait toujours être ce tourbillon.
Le rire de Romy Schneider, c’est l’éclat d’une gosse en bottes crottées et pull moutarde se payant une escapade à la campagne avec Alain. C’est deux enfants de 20 ans prometteurs, deux fiancés qui se chamaillent en français, en allemand, en langue des signes.
Le rire de Romy Schneider, il prend l’accent américain dans What’s news Pussycat ? Mais une fois les projecteurs éteints, il se fait solitaire dans sa villa hollywoodienne.
Le rire de Romy Schneider, il se trempe de larmes quand Alain s’en va se marier avec une autre sur un coup de tête.
Le rire de Romy Schneider, c’est celui, complice, qui éclate avec Melina Mercouri, sous le thermomètre écrasant d’un été espagnol meurtrier filmé par Jules Dassin.
Le rire de Romy Schneider, il se remplit de bonheur quand David fait ses premiers pas à Hambourg.
Le rire de Romy Schneider, il se fait sauvage dans La Piscine, onirique dans les noces rêvées de Pierre et d’Hélène croquant des cerises, une des choses de la vie que l’on oublie pas.
Le rire de Romy Schneider, il snobe Montand claquant des doigts « J’fais d’l’argent moi, de l’argent !, pas des p’tits dessins dans les coins !« . Très chic.
Le rire de Romy Schneider, il se prostitue dans un bain photogénique pour l’énigmatique commissaire Max et ses ferrailleurs.
Le rire de Romy Schneider, il résonne d’une étrange folie dans la galerie des glaces de Ludwig, il se moque de la chute équestre, il devient plus impérial et plus dur que jamais. Mouette d’airain.
Le rire de Romy Schneider, il se fait sardonique dans la peau de Philomène Smith cul-nu, chahutée par Piccoli, amante du crime.
Le rire de Romy Schneider, il sort, vaincu, de l’autre côté de sa chambre d’hôtel où Brialy tente de l’extirper en lui imitant le miaulement du chaton réclamant du lait « Oh, non, Jean-Claude, tu vas encore me faire rire et je vais devoir me lever pour tourner au lieu de dormir !’. Un amour de pluie. Evian. Petit métrage sans prétention.
Le rire de Romy Schneider, il gondole la voiture de son secrétaire venu la chercher au petit matin chez quelque amant de passage, la belle peinant à mettre son jean dans un lieu si exigu.
Le rire de Romy Schneider, il devient cruel un soir de Nouvel An quand Daniel se pointe tout fier avec ses chaussures neuves en croco : « Quelle horreur ! Ça fait maquereau, on dirait mon beau-père !« . Ni une, ni deux, elle les expédie dans le vide-ordures. Ad patres, les godasses reptiliennes. Beau-papa Blatzheim aussi. Le symbole anéanti : champagne !
Le rire de Romy Schneider, il s’alimente des degrés de rosé, un soir, sur la Côte d’Azur, avec Daniel, où dans l’arrière-salle d’un boui-boui, la femme raconte l’actrice. Le rire de Romy Schneider, il s’euphorise des baisers de Daniel, enfin, après cette longue nuit confessionnelle.
Le rire de Romy Schneider, il contrarie Visconti et ses projets de films avec Romina. Dans une cabine téléphonique, quelque part sur une route perdue du Var, l’insouciante oppose sa cascade cristalline au Maître, colérique : »Il y a un temps pour tout, Romina. C’est le temps de faire un film ». « Non, Maître, il est temps de faire un enfant. Je n’ai plus de pièces, ça va couper, aurevoir !« . Et de retourner à la voiture, légère et joyeuse comme une jeune fille.
Le rire de Romy Schneider, il se magnifie dans la rencontre Noiret-Romy dans Le Fusil, il se cache derrière une coquette voilette années 20, se soulève délicatement pour laper son verre à bulles. Elle est enceinte de Daniel. Elle a eu la confirmation ce matin. Elle rayonne. Elle se sent bien.
Le rire de Romy Schneider, il s’embellit dans l’écrin de sa robe nuptiale fleurie tranchant avec le froid berlinois de décembre. Drôle de mois pour convoler. Mais avec Romy, c’est comme ça. Daniel : « Pourquoi veux-tu que l’on se marie? » –Parce ce que je l’ai décidé. La reine a rit. La reine a parlé. Punkt.
Le rire de Romy Schneider, il respire l’air embaumé de Provence, les absorbe les long jours d’été qui s’étirent sous le chant des cigales, il ondule la peau bronzée de la belle bohème en tunique psychédélique. Petit soldat en tournage. Hippie à la ville.
Le rire de Romy Schneider, il est réchauffé par le soleil de Grèce d’une femme de diplomate éprise d’un réfugié politique.
Le rire de Romy Schneider, c’est celui, désabusé de Marie, qui confie dans un bistrot « Je n’arrive pas déjà à retenir un enfant, alors un homme…« . Ah, ces bonnes femmes et leurs histoires…
Le rire de Romy Schneider, c’est l’affreux couinement moqueur de la maîtresse-banquière et de Daniel Mesguish s’aimant au nez et à la barbe de Marie-France Pisier.
Le rire de Romy Schneider, il se dissout dans les affres de son second divorce, il se heurte au suicide de son premier mari, et se perd, définitivement à la disparition brutale de David. La mort en direct ou presque. La presse, ces charognards qui se déguisent en infirmiers pour photographier l’enfant à la morgue.
Le rire de Romy Schneider, il tente de s’extirper, avec l’énergie du désespoir, face à Sarah. The Show must go on. Life must go on. Le rire de Romy Schneider, il s’esquisse à peine face à Max, il s’écrase sous le poids du violon jouant un air yiddish beau et triste. Max… Il lui rappelle tant David. Même âge. Même innocence au fond des yeux. Même maturité. Il ne faut pas renoncer, pourtant… Elle est actrice. Elle est La Schneiderin : « Régis ? » -Quoi ? « Il faut recommencer la prise…« . -Pourquoi ? C’était parfait ! « Non. Tu n’as pas vu ? Je n’ai pleuré que d’un seul œil…« .
Le rire de Romy Schneider, il revient, une ultime fois à Berlin, un soir, chez des amis. Romy tombe en arrêt sur des figurines en porcelaine. Des années plutôt, David jouait avec. Il les adorait. L’objet lui rappelle l’absence. Cruelle. Intolérable. Le souvenir la submerge comme un tsunami. David… mort… Elle regarde les fragiles personnages, indifférents à sa peine. Leurs yeux peints vaguement bêtes, étrangers au drame. Silence gêné. On ose à peine évoquer le disparu. Romy regarde encore ces étranges témoins d’un passé qui ne reviendra plus. Tout à coup, une onde soulève son diaphragme, anime ses yeux de Lorelei blessée, ridée, usée. Elle émet un rire sorti d’on ne sait où. Force de vie ou dernier sursaut avant l’au-delà ? L’onde amère la secoue, les larmes perlent ses paupières froissées. Elle a 43 ans. Elle en fait dix de plus dans ses mauvais jours; son âge dans les bons moments. Les cheveux serrés sévèrement, elle offre un visage brut, sans concession au temps qui passe, aux chagrins qui bouffent, qui boursoufflent, qui font boire, prendre des somnifères. Non, basta ! Elle sait rire encore. Le son s’étrangle dans la nuit. Il va falloir quitter Berlin.
Elle sait rire encore, oui, la preuve, ouvrez Paris Match 1981. Elle s’est cassé la jambe à Quiberon, en sautant sur les rochers. Sarah dans ses bras, un baiser d’enfant à sa mère, le sourire optimiste de celle qui ne réalise pas tout à fait la perte d’un frère… Sur les photos en noir et blanc, la patte levée en guise de témoin potache, Romy s’esclaffe.
Paris Match encore. Nouveau compagnon. Assistant de plateau. Laurent Pétin. Etrange homonymie pour celle qui a découvert les mystérieuses accointances de sa mère avec le régime nazi. On est à Boissy-sans-Avoir, bled perdu dans les Yvelines. Une table de jardin. Un déjeuner sans chichis. Une fermette à retaper. La campagne paisible. Le show-biz est loin. Le regard perdu de Romy s’accroche à son homme. Taiseux. Discret. Il ne témoignera jamais sur leur relation. Et reste un mystère que nul n’ose plus solliciter.
Sarah perchée sur ses épaules, Romy a les cheveux longs, encore gaufrés du tournage de La Passante, mais négligés. Elle s’en fout.
Le rire de Romy Schneider… il tente de renaître dans ses dernières photos de presse. Elle s’est reprise en main. Cette masse, cette coupe, ce n’est plus possible… Elle a foncé chez Alexandre, coiffeur attitré des stars. Alex, on coupe tout, on remet les compteurs à zéro ! Le visage dégagé, c’est comme une renaissance. Une bizarrerie du destin, même. Elle a retrouvé exactement les mêmes cheveux courts qu’elle arborait à Goldenstein qui avait fait scandale auprès de ses copines, lui lançant, envieuses et prémonitoires: « On dirait une star de cinéma !« . Face à l’objectif, toute vêtue de jean, Romy se prend au jeu. Semble sourire à la vie, à un nouveau projet de film avec Alain Delon. « Sous-rire ». Oui, c’est bien ça. Etre en-dessous du rire. L’étape supérieure reviendra bien tôt ou tard. Le mois suivant, elle s’éteignait dans la nuit. Fini de rire.
Le rire de Romy Schneider… il faut s’en souvenir. Il faut s’en nourrir. Il faut l’entretenir. Le rire de Romy Schneider, il tourbillonne encore, il décroche ses notes légères comme de l’eau qui coule, sur les plateaux, dans les films ou bien la vraie vie. Le rire de Romy Schneider, disait Alain Delon, il était magnifique, incandescent… »C’était le reflet de son âme« .






























