Le Désespoir de la Galette

"Courage, il y en a encore une deuxième qui arrive..." ( Tableau Le gâteau des rois " de J.B Greuze).
« Courage, il y en a encore une deuxième qui arrive… » ( Tableau Le gâteau des rois  » de J.B Greuze, 1815).

Mal levé, le Royaume se transformera en piège étouffe-chrétien. Ne comptez pas sur le champagne pour vous rafraîchir, vous venez d’avaler Bob l’Eponge. Il faudra vous sortir tout seul de ce pétrin ou bien crever, minablement lyophilisé.

Damned ! Elle était là !
Trônant au centre de la table, elle attirait tous les regards. Telle une reine Victoria d’âge mûr, elle était parée d’adjectifs pour le moins peu flatteurs : ronde, grasse, boursouflée. On ne lui accordait pas une peau laiteuse d’anglaise, mais le teint bien doré d’une estivante en villégiature sur La Côte. La pâte striée de croisillons décoratifs à la manière d’une souveraine d’Ecosse revêtue d’un tartan, elle attendait son adoubement par les convives.
O rage, O désespoir, O Galette ennemie ! Son retour était-il donc inévitable ? Il allait falloir s’enquiller LA galette annuelle, ou du moins une parmi ses nombreuses consœurs que les pâtissiers de renoms s’amusent à dupliquer avec une imagination sadique : au chocolat (une des plus potable), au citron vert-noix de coco (et pourquoi pas au Planteur, doudou-dis-donc ?), à la frangipane-pamplemousse (version exotique du gloubiboulga selon Gontran Cherrier), frangipane-crème de marron (autant manger directement une brique)…
Au rayon des horreurs, il y a aussi la pogne, brioche provençale en forme de couronne garnie de cristaux de sucre. Originellement décorée de véritables fruits confits artisanaux (cédrat, angélique, mandarine, poire… dont le PIB au kilo dépasse celui d’un petit état africain), elle est sublime. Parée des pires horreurs molles de supermarché comme du melon coloré aux vagues formes de la saveur censée être représentée, c’est un massacre. Mal levée, ladite brioche se transformera en piège étouffe-chrétien qui vous pompera la moindre parcelle de salive, au risque de vous laisser exsangue et déshydraté… Ne comptez pas sur le champagne pour vous rafraîchir, le contenu d’une flûte étant limité, vous aurez à peine de quoi vous aider à soustraire une bouchée de votre gosier. Vous venez d’avaler Bob l’Eponge. Il faudra vous sortir tout seul de ce pétrin ou bien crever, minablement lyophilisé comme une soupe en sachet.

Quant à sa congénère, la galette à la frangipane, derrière ses airs sophistiqués de demoiselle en pâte feuilletée froufroutée, elle se révèle toute aussi matoise.
Ne vous fiez pas à sa couronne de carton-pâte au kitsch Point de Vue et images du Monde assumé, avant d’être le roi ou la reine d’un jour, il vous faudra passer par l’épreuve du feu : sa dégustation !
Tout d’abord, il y a le choix de la part. On ne la veut jamais trop grosse, et bien sûr, l’oncle Henri qui est dur d’oreille, a compris tout le contraire. Vous voici donc avec un triangle de la taille d’un tank dans votre assiette. Une raison de plus pour vous de faire la gueule. Il va falloir vous gaufrer l’équivalent d’un demi-kilo de beurre, d’un amandier et d’un poulailler entier, la lampée de rhum aromatisant le tout achèvera de vous transformer en piteux pochtron. C’est là qu’observer ses semblables peut s’avérer fort instructif sur la nature humaine : il y a les tricheurs qui échangent leur galette avec celle du petit dernier, car ce perdreau de l’année n’y a pas vu la bulle d’air dans l’amas de garniture susceptible de renfermer la fève, il y a les voraces qui l’engloutissent en moins de deux et en réclament une seconde part, et il y a, comme vous, les désespérés. Les honnis de l’Epiphanie. Ceux qui haïssent la frangipane et son goût souvent trop prononcé d’amande amère (à moins qu’un esprit malin y ait mis du cyanure ?). Non seulement cette sauterie familiale risque de se transformer en Cluedo, mais elle offre le désolant spectacle d’une humanité en proie à la traîtrise de la pâte feuilletée. Croustillante, elle dispersera des miettes çà et là dans les cheveux des honnêtes gens, se collant disgracieusement aux commissures des lèvres. Paré d’une telle immondice royale, même George Clooney, l’homme le plus classe du monde, passerait pour un goret. Pâteuse, la galette se collera aux dents, laissant une trace indélébile de plâtre que l’on aurait posé à la truelle sur votre langue. Vous aurez beau vous échiner à tenter d’éliminer tout cela à force de grandes lampées de mousseux, rien n’y fera. Seule une bonne brosse à dent et l’application de la politique de la terre brûlée dans votre palais y viendront à bout. En attendant, vous serez comme ces milliers de misérables aux sourires contrits, passant et repassant vainement leur langue sur leurs ratiches engluées, triste spectacle de manants soumis à la gloire éphémère de l’oncle Henri qui lui, a pu rincer discrètement son dentier en coulisses et, comble de l’injustice, a eu la fève… !

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Quand faut y aller… (Michel Galabru et Paulette Dubost dans ‘Le jour des rois’, 1991).
"Ne tirez pas ! On vient seulement avec de l'or, de la myrrhe et de l’encens, mais pas de galette !"
« Ne tirez pas ! On vient seulement avec de l’or, de la myrrhe et de l’encens, mais pas de galette !« 

 

"Et pis, Fanny..."
« Et pis, Fanny… » ( « Marius » de Marcel Pagnol, 1931).

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. C’est tellement bien tourné ! …mais ça ne parvient pas à me dégoûter de la galette !

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