
Pas besoin de réserver un restaurant hors de prix, d’investir dans un champ de roses qui faneront au bout de deux jours ni d’offrir une boîte de chocolats cul-cul en forme de cœur. La plus belle déclaration d’amour peut être brutale, drôle, un brin cynique, même.
« Tu sais, mon cimetière, il est en Lombardie. C’est le plus beau cimetière du monde. Là-bas, il y a des arbres, le ciel est bleu, il y a des oiseaux… Le tien, à Poissy, c’est vraiment de la merde à côté. C’est vrai, les morts, à Poissy, sont enterrés dans de la merde… Excuse-moi de te dire ça, mais tu n’es qu’une vieille emmerdeuse aigrie. C’est vrai que tu n’excites plus personne, que tu es devenue grotesque, que tu fais rire tout le monde… Et pourtant, tu vois, je suis toujours avec toi… Parce que tu me fais rire. Alors, tu sais ce que je vais faire ? Je revends mon caveau en Lombardie et je viens avec toi dans la merde à Poissy, pour rire encore. »
Voilà ce que dit Renato Baldi à son Albain, alias Zaza Napoli, dans le film, La Cage aux Folles, 1978, après une dispute qui a viré au mélodrame. Vexé d’être mis à l’écart du dîner réunissant la future belle-famille de son fils adoptif, Albain s’est enfui du domicile pour aller se jeter sous un train. Le comique de situation veut que ce dernier n’arrive pas et qu’Albain attende dignement son passage, assis, avec un petit air pincé. Habitué à ces coups de tête, Renato a rejoint son compagnon. Il s’est posé sur le vieux banc et, sous le crissement strident des cigales, a fait posément son discours, avec le regard vague d’un homme las des turpitudes amoureuses, mais qui tient bon.
Que ce soit un homme qui fasse sa déclaration à un autre homme, peu importe. L’amour ne différencie pas les sexes. Un couple femme/femme ou homme/homme, reste un couple. Cela Renato et Albain peuvent bien vous le faire comprendre. Eux aussi ont droit à leurs scènes de la vie conjugale, aux petites habitudes agaçantes et à l’usure du temps. Avec Zaza, le point d’exaspération est atteint lorsqu’il faut lui apprendre à manger une biscotte de façon virile et que cela finisse en tragi-comédie : une Zaza pleurnichante face à son inaptitude à étaler le beurre sans pulvériser son morceau de pain grillé et un Renato ayant tenté de défendre l’honneur de son compagnon mis au tapis par une armoire à glace. Albain a toujours eu le chic pour transformer le quotidien en opéra-comique. « Parce que tu me fais rire… » lui dit Renato, désabusé. La tragédie pure ne dure jamais longtemps. Il suffit d’une biscotte pour tout foutre en l’air.
C’est peut être ça, la plus belle déclaration d’amour : sur un banc d’une gare vaguement désaffectée, en plein cagnard, au son strident des cigales. Car dans la vraie vie, on est loin d’avoir dans son sillage le pianiste génial de Casablanca qui vous murmure A kiss is just a kiss, as time goes by… Faire fi des herbes sèches, des papiers gras et du goudron craquelé, pour dire que l’on aimera l’autre jusqu’à la fin et même au-delà. Pas besoin de réserver un restaurant hors de prix, d’investir dans un champ de roses qui faneront au bout de deux jours ni d’offrir une boîte de chocolats cul-cul en forme de cœur. La plus belle déclaration d’amour peut être brutale, drôle, un brin cynique, même. Elle peut mêler les beautés de l’Italie du Nord avec un caveau moche en banlieue parisienne. Elle peut disséquer les défauts perpétuels de l’autre, quand tout à coup, au milieu de ce marasme d’agaceries, ressort une qualité sublime : « Tu es grotesque, mais tu me fais rire… ». Et sur-ce, de parler d’amour éternel en des mots choisis : « Je revends mon caveau en Lombardie et je viens avec toi dans la merde à Poissy, pour rire encore. »