… et puis on a recommencé.

Petit à petit, l’aigreur avait repris sa place. Avec, le matin, les tronches de pas-contents de subir cette proximité obligatoire imposée par le métro, les gueules patibulaires du mal-réveillé qui peste comme un lundi, les attachés-caisse qui défoncent la mémé fragile sur le quai. Progressivement, les mesquineries métropolitaines avaient repris leur train-train.

On croyait avoir oublié, pouvoir tout reprendre comme avant. La terreur et la stupeur passées, on avait rangé nos mines de déterrés et notre capacité de faire attention à l’autre. Fini le regard apeuré de lapin pris dans les phares, la compassion pour son prochain qui peine à monter dans la rame, les yeux qui scannent le moindre voyageur entrant dans le wagon, la phobie de la doudoune dissimulant au mieux, une négligence pondérale, au pire une pochette surprise explosive.

Insidieusement, on s’était laissé grignoter à nouveau par la vie parisienne. Pas celle, fantasmée, qui fait de tous les franciliens des fêtards en puissance s’en fourrant jusque, jusque, jusque-là de théâtre, de petits verres de vin posés sur le zinc ou des danseurs de cancan en puissance, a patte alerte et haute entourée de frous-frous Moulin Rouge. Non. Petit à petit, l’aigreur avait repris sa place. Avec, le matin, les tronches de pas-contents de subir cette proximité obligatoire imposée par le métro, les gueules patibulaires du mal-réveillé qui peste comme un lundi, les attachés-caisse qui défoncent la mémé fragile sur le quai. Progressivement, les mesquineries métropolitaines avaient repris leur train-train : le ‘pardon!’ agacé du cadre qui descend à sa station furieux que sa sortie soir retardée d’une demi-seconde, l’œil noir du voisin que notre baguette de pain a frôlé du fait de l’exiguïté du tortillard, le sac à main que l’on met en avant comme un bouclier pour foncer dans la rame et défoncer ses habitants provisoire, le menton fier du sans-gêne en guise de réponse à leur indignation.

Pire que la colère, l’indifférence avait succédé à la peur. Têtes plongées dans leurs téléphones mobiles, dos arrondi, épaules rentrées, les voyageurs avaient repris leur position d’usagers pénitents. Et, tels, des moines prisonniers de leur abbaye, ils ignoraient le monde. Seuls leurs pouces effectuant de temps en temps quelque mouvement brisaient leur immobilité de statue de pierre. D’autres s’isolaient par le biais d’écouteurs, plus ou moins voyant selon le degré de « Foutez-moi la paix ! » que traduisaient ces vecteurs pratique à l’ignorance de l’autre. Des résistants demeuraient plongés dans un livre de papier. Bien concret et sans la moindre once d’électronique. Au moins, ils pouvaient encore voir et entendre autour d’eux. Mais c’était aussi le moyen de feindre une désolante indifférence au sans-abri débarquant inopportunément dans la rame pour faire son prêche. Face aux regards obstinément baissés, l’homme, imperturbable, déclamait sa supplique qui finissait torréfiée par les grincements de la machine infernale et folle déboulant sans fin dans les tunnels. Livres, Iphone, Ipad, Ipod, écouteurs, tout cela est bien confortable pour prétendre une concentration accrue sur son quant-à-soi. L’inopportun sorti de la rame, les voyageurs jetaient un coup d’œil distrait, soulagés de ne plus voir sous leur yeux l’image déplaisante de la pauvreté. Puis replongeaient, sans respiration, dans leurs bulles. Le monde n’existait plus. La femme enceinte qui débarquait trouvait des regards lâchement rivés sur quelque occupation passionnante. Nul ne se levait pour céder sa confortable place assise, arrachée souvent par le biais d’une ingéniosité mêlant regard de sioux, promptitude et coups de mallette. Le must en la matière étant de se fourrer tout près de la vitre, ce qui multiplie les chances de ne pas à se lever au profit d’une personne âgée.

Comme des connards, on avait repris nos quartiers. On défendait son bout d’espace vital, on luttait pied à pied pour se quicher dans un wagon déraisonnablement bondé, on était redevenu des rapaces du siège libre, des filouteurs serpentant entre les voyageurs disciplinés, des coucous voleurs de nids, des salauds vociférant sur les poussettes, les valises, les touristes, les vieux, les enfants, les indécis, les faibles, les SDF, les provinciaux. On était redevenus des connards intolérants, mauvais, impatients, râleurs au langage de charretier : « Elle ne pourrait pas monter plus vite, cette conne ?!! », « Poussez-vous, merde ! », « Font chier ces touristes qui se foutent sur le côté gauche de l’escalator ! ».

Comme des connards…Oui, comme des connards…

Et puis, Bruxelles. Zaventem. Maelbeek.

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