La Fuite

Quelque part, en Toscane, coucher de soleil sur Valle di Elsa
Quelque part, en Toscane, coucher de soleil sur Valle di Elsa

Moi j’ai envie de fuir cette horreur qui m’étreint chaque jour. Car j’ai toujours été lâche. Je suis une poule mouillée de la vie, je n’ai pas peur de l’affirmer. A peine me met-on dans une eau un peu tiédie que je m’ébroue en caquetant de panique.

« Et si on partait ?

-Où ça ?

« Je ne sais pas, mais ailleurs… En Toscane, tiens ! Là-bas, on contemplerait les vallons qui frissonnent sous le vent chaud d’été, on caresserait du regard les camps de blé blondis par le soleil et, le soir, éreintés de chaleur, assis dans la fraicheur des pierres, on s’enivrerait de Chianti et du temps qui ralenti doucement…

-Toujours ta vieille obsession de la Toscane… tu es indécrottable… ! Mais c’est vrai, on serait bien là-bas…

« Bien ? Plus que bien ! Moi j’ai envie de fuir cette horreur qui m’étreint chaque jour, cette boule au ventre qui me scie en allumant la radio. Des morts, toujours des morts, plus de morts… Des morts atroces, injustes, infâmes, dégueulasses. On ne peut même plus espérer aimer le 14 juillet. Désormais, les bleuets sont entachés de sang, le coquelicot pleure, la marguerite se fane de désespoir.

-C’est vrai, moi aussi je n’en peux plus, mais en même temps, fuir serait leur montrer notre peur. Fuir, c’est s’avouer vaincus. Fuir, c’est renoncer face à l’abominable.

« Oui, je sais, mais moi, j’ai toujours été lâche. Je suis une poule mouillée de la vie, je n’ai pas peur de l’affirmer. A peine me met-on dans une eau un peu tiédie que je m’ébroue en caquetant de panique. Alors, tu imagines, en ce moment, avec tout cet effroi que l’on traverse… je suis au bord de l’hypothermie.

-Tu as toujours le mot pour rire, même dans les situations désespérées… !

« Oh non, je ne plaisante pas ! Aller, on se fait la malle, on part dans une contrée tranquille. Là-bas, ils n’iront pas nous chercher… Et puis, en Italie, au moins, on se sent protégés… Rien ne semble atteindre ce soleil éternel, ces pierres antiques, cet art de vivre millénaire. Là-bas, les vieux mûrissent sur le parvis de leurs maisons, un chapeau de paille sur la tête, siestant paisiblement en attendant la mort qui viendra les prendre gentiment, tendrement. Ici, on est fauchés de façon inconvenante et brutale, un vrai scandale ! Tandis que là-bas, tout semble plus sûr. Le temps s’est arrêté sous le chant des cigales qui psalmodient sans discontinuer. On se fait à leur grésillement. D’abord, il vous enchante les oreilles jusqu’à les scier dans un supplice aigu. Enfin, on arrive à la dernière étape, celle de l’acceptation d’avoir cette épée de Damoclès stridente au-dessus de nos têtes…. C’est bien mieux qu’une kalach’…

-Ah bon ? Je te rappelle qu’en Italie, il y a quand même la Cosa Nostra et que ce n’est pas du tortellini, côté danger ! Y compris pour le quidam.

« La Mafia ? Ma foi, oui, mais depuis Marlon Brando, c’est plutôt chic de murmurer d’une voix enrouée parla più piano dans un costume à rayures…

-Oh, quelle mauvaise foi ! Arrête de me sortir la référence du Parrain ! As-tu seulement lu ‘Gomorra’ d’Alberto Saviano ? parce que, les loulous napolitains, ils n’ont rien à envier aux autres excités. Tu peux les mettre dans le même panier. Côté cruauté et absence de moralité, ils se posent-là ! Je te signale que son auteur* vit caché depuis sa parution.

« Alors, on n’est en sécurité nulle part ? Pas même en Corse ?

-… encore moins ! Tu n’es jamais à l’abri de fâcher une cagoule nationaliste entre deux bouchées de brocciù… là-bas aussi, les sangliers ont des antennes…

« Maintenant, c’est toi qui me fais rire !

-Tu vois… le risque zéro n’existe pas, à moins de t’enfermer dans un abri atomique jusqu’à la fin de tes jours. Là où il y a le corps, il y a la mort, me dit souvent mon père.

«Mais alors, que faire si fuir n’est pas la solution ?

-Philosopher à l’anglaise.

« Pardon ?!

– En matière de Blitz, les Roastbeefs s’y connaissent, ils n’ont jamais cédé à la peur. Rappelle-toi les attentats de Londres en 2005. Le soir-même, tous les londoniens guinchaient en ville et se cuitaient au pub à grand coups de ‘Fuck you, Al-Qaïda !’. Je parie même que la Reine Mère s’est envoyé son petit verre de Sherry, comme à son habitude. Rien que pour emmerder Ben Laden.

« Et la morale de cette histoire, je veux dire, tu me parlais de philosopher de façon élégante…

-Oh oui, pardon ! Il faut en appeler à Churchill, l’homme au cigare, le dur à cuire dont la devise était « No sport »… Certes, ce n’était pas Papa Noël, mais il avait toujours des bons mots dont on se souvient encore.

« Alors, alors, cette citation, quo vadis ?

Si vous traversez l’Enfer, continuez d’avancer.

*Alberto Saviano, auteur et journaliste, vit reclus depuis la parution de son livre-enquête sur le milieu de la mafia napolitaine, en 2007. Ayant un contrat sur sa tête, il est contraint de se déplacer sous escorte et de changer régulièrement de planque.

 

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