
Mais le 13 Novembre 2015 : Bataclan. Un nom sonnant comme un chargeur que l’on vide en trois coups de feu secs. Ba-ta-clan, et tout le monde à terre. Ba-ta-clan encore, mais sur les terrasses de cafés. A nouveau du sang, à nouveau des corps allongés entre un verre de rouge pillé et des cigarettes écrasées. Fallait pas prendre du plaisir une chaude soirée de novembre tandis qu’ailleurs, dans les confins désertiques, ça drônait, ça tirait, ça bombardait avec notre brillant arsenal logistique et militaire. Il paraît que c’était pour le maintien de la paix dans le monde.
Ils sont morts pour une guerre qu’ils n’ont pas choisie. Tombés au Bataclan ou dans des rues de Paris comme il y a cent ans, on tombait sur le front de la Marne, à Verdun ou dans la Somme. Le velours des fauteuils s’est substitué à la boue des tranchées. Les comptoirs de zinc, aux barbelés tranchants. Des morts absurdes en 1915, des vies fauchées, étripées, embaillonnétées et sanglantes ont trouvées leur écho dans notre XXIème siècle contemporain d’européens qui se pensaient préservés à jamais des conflits. Des morts toutes aussi insensées en 2015. Ironie du sort, frisson de l’histoire, un Vendredi 13 Novembre, de surcroit. Plus qu’une date. Un symbole de chat noir. Plus mauvais qu’un passage sous une échelle. Plus con qu’un pépin de malheur ouvert dans une pièce fermée.
La plupart d’entre eux étaient jeunes, beaux, aimaient le divertissement et méprisaient probablement ces guerres menées au Proche-Orient. Tant de distance entre la Vieille Europe et les bombes d’Alep. Paris-Kaboul. Paris-Bagdad. Paris-Mossoul. Les kilomètres par milliers donnaient l’assurance que rien ne nous atteindrait. D’ailleurs, personne ne pouvait nous en vouloir car, la France c’était le pays des gentils. Même les kamikazes pourraient comprendre cela et nous épargner.
Mais le 13 Novembre 2015 : Bataclan. Un nom sonnant comme un chargeur que l’on vide en trois coups de feu secs, aveugles et sans pitié. Ba-ta-clan, et tout le monde à terre. Et plus personne qui bouge. Ba-ta-clan, et des vies broyées, des corps abîmés, des gueules cassées. Et puis, Ba-ta-clan encore, mais sur les terrasses de cafés. A nouveau du sang, à nouveau des corps allongés entre un verre de rouge pillé et des cigarettes écrasées. Fallait pas prendre du plaisir une chaude soirée de novembre tandis qu’ailleurs, très loin, dans les confins désertiques, ça drônait, ça tirait, ça bombardait avec notre brillant arsenal logistique et militaire. Il paraît que c’était pour le maintien de la paix dans le monde. Ce sont les journaux et les spécialistes, les politiques et les généraux qui disaient ça. Bien au chaud, dans leurs palais, dans leurs bunkers, sur les plateaux-télé ou à l’assemblée.
Toi, petit poilu du Bataclan, du Petit Cambodge ou des trottoirs pourpres d’hémoglobine, tu gisais à terre, sans comprendre le pourquoi du comment, l’utile ou l’inutile de ces guerres sans fin. Toi, petit poilu, toi, citoyen lambda, pas protégé par une garde nationale pour SPHP*, toi, qui avais 20 ans, 15 ans, 30 ans, tu agonisais de sidération. Quelle connerie, la guerre, disait l’ami Prévert*. Les poilus de 14-18, c’était somme toute, pareil. Des jeunes partis à la guerre la fleur au fusil, des idéaux plein la tête, pour se retrouver à moitié fou de douleur ou de peur dans des boyaux boueux. Il y a eu ceux qui sont restés des dormeurs du Val* ensommeillés au teint cireux, des excréments et des rats pouilleux en guise de linceul. Il y a ceux qui en sont revenus. Tout un cortège de visages morts-vivants, perclus de tocs, des traumas de bêtes traquées, des corps inachevés.
En 2015, dans nos tranchées modernes constituées fosses de concerts ou de tables marbrées, les hipsters à barbe, les jeunes filles en fleurs, les idéalistes bobos, sont nos poilus à nous. Des poilus en Converse, maquillés ou tatoués. Des hyper-connectés avec iPhone et souvenirs stylés. Des femmes, des hommes, des jeunes, des pères, des mères, des étudiants, des soiffards d’un soir, des coquettes prêtes à faire des conquêtes. Des croque-la-vie, des serveurs, des serveuses. Des gens sans histoire entrés un soir de 13 novembre dans une salle de concert ou dans un bar, n’imaginant pas une seule seconde être décimés. Des immortels qui auront 15 ans, 20 ans, 30 ans pour toujours. Des vies entremêlées un soir d’automne à la température étrangement douce ne laissant aucunement présager la catastrophe. Le 13 Novembre 2015, notre Bel été 14**. Nos morts. Nos Poilus à nous.
- *Référence au sublime poème de Jacques Prévert, Barbara, présent dans le recueil Paroles, publié en 1946.
** Référence au film Le Bel été 14 de Christian Challonge sorti en 1196, tiré du roman d’Aragon, Les voyageurs de l’impériale parut en 1942, dont l’intrigue se passe avant la Première Guerre Mondiale.