Soumission de la Saint Sylvestre

Le repli sur soi est donc la seule solution. L’ours mal léché se soumettra aux impondérables de cette affreuse nuit, ballotté entre deux cotillons tombant minablement sur ses épaules minuit passées, ivre de fatigue et l’estomac en galantine.

Il faut une certaine dose d’optimisme pour passer le Nouvel An à la montagne. En journée de ce 31 Décembre, on appréciera la joie bon enfant d’une station en effervescence dont la décoration kitsch dénote une agréable emprise du hasard et du mauvais goût. Guirlandes flottantes comme des algues secouées de remous agités aux fenêtres des petits commerces, luminaires dépareillés rescapés d’un autre siècle, personnages clignotants dotés d’un sourire épileptique, sapins au cœur sec ployant d’orgueil sous la médiocrité de boules chaotiques. Toute cette horreur est pardonnée au nom de l’aspect permissif des fêtes de fin d’année. On éprouve même de la sympathie pour ce qui nous aurait semblé intolérable les mois précédents, comme ce Père Noël gonflable, béat et ventripotent. La fin d’après-midi en station se pare des retours de ski chahutés, des précipitations de supérette sur une mauvaise bûche glacée aux ingrédients synthétiques, du tintements des alcools en cabat qui, dans quelques heures, se déverseront dans des flûtes de champagne. Un Nicolas Feuillâtre des plus chanceux atterrira noblement dans un contenant en verre; un autre connaîtra le déshonneur d’une coupe en plastique. L’effroi sera atteint pour celui dont la fin de vie s’achèvera dans un gobelet prolétaire : blanc et cassant dans un son mat made in china.Peu importe la gueule du flacon, les imbéciles heureux veulent en connaître l’ivresse.

Mais le soir, lorsque tout se fait entre chien et loup, que les bibemdum des pistes ont déserté lourds de leurs paquetage de la St Sylvestre, les ombres se découpent, laissant apparaître des sommets pointus et glacés. Le ciel se noie dans un marécage de violets glauques et de nuages filandreux au rose irréel de fête foraine.  Rien d’amical dans tout cela. Désormais, les pains de sucre de conte de fées se dressent comme autant canines vampirisantes.  Les flonflons colorés apparaissent sous un jour grotesque : à quoi bon tout ça ?

Seuls les sentimentaux de l’année écoulée, les paniqués de l’avenir, comprendront ce blues fatal qui les habite, invariablement. D’ailleurs, cette communauté de dépressifs du 31 Décembre subit comme un pensum  cette terrifiante grand messe sociétale. Sourds à l’injonction orgiaque rebattue depuis le début du mois, écoeurés à l’idée de s’enquiller un foie gras à onze heures du soir, ricaneux à l’idée de prétendre d’un air ébaubi à la maîtresse de maison que son saumon fumé est « un vrai-saumon-sauvage-fumé-par-les-lapons-ça-se-sent-tout-de-suite-au-goût-oui, Madame-et j’m’y-connais-croyez-moi!« , de planifier une stratégie d’évitement plus chiadée qu’un complot kimjongdien pour éviter de se faire resservir l’immonde bûche Viennetta parfum gloubiboulga-nougat-framboise-banane-chocolat des îles, tout en félicitant très faux-cul le choix judicieux du Maître de Maison en matière de desserts sorbetiers, ces forçats du 31 se soumettent, vaincus d’avance. Pas le temps ni l’envie d’expliquer le pourquoi de la détestation dont l’existentialisme serait incompris par des torchés du mousseux. Pas  envie non plus d’étaler ses états d’âmes poétiques sur  l’année « ce long ruban vertigineux », comme le nommait l’écrivain Colette dans ses plus beaux textes. Pas question de donner une once de notre phobie saint sylvaine à ces gougnaffiers, ces mêmes adorateurs de la galette des rois qui ne jureront par la frangipane et le santon en porcelaine briseurs de bridge. Le repli sur soi est donc la seule solution. L’ours mal léché se soumettra aux impondérables de cette affreuse nuit, ballotté entre deux cotillons tombant minablement sur ses épaules minuit passées, ivre de fatigue et l’estomac en galantine. Au petit matin, il se débarbouillera avec bonheur des baisers forcés, appréciera le silence après ce ras de marrée sonore de « Bonne Année »! hurlée dans ses oreilles par tous ces optimistes hystériques. Somnolent, il se glissera enfin dans des draps frais, lira distraitement une page de son livre de chevet, comme une ultime politesse adressée à son intellec histoire de ne pas rougir de ces premières heures de l’année qui se déploie. Il soupire… L’année qui se déploie… cette salope indécise capable de nous faire des tours pendables.  Elle a onze mois pour réfléchir avant la trêve des confiseurs.

Au loin, il entend les retours de boîte de nuit montagnardes au ploucisme assumé. Une troupe enmoutonnée de criards éméchés ignorant le froid et les feux d’artifices mourants. Cela le fait presque sourire. Les idiots…

 

 

 

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s