
Il trône dans son écrin cotonneux, imperturbable et glacé. Au milieu des coucous suisses, il se sent le ténébreux, le neuf, l’immaculé. La rectitude de ses formes n’appelle aucune contestation au miracle contemporain devant laquelle tout béotien doit s’incliner. Il est beige des pieds à la tête. Le matériaux soigneusement choisi par un architecte de renom, lisse et luisant, l’habille d’un cothurne étroit et hautain. On aurait aimé dire, à la manière de l’ami Théophile*, que de la contrainte naît les beaux poèmes. Mais la dissonance de ce bloc snobant le folklore montagnard incite au ricanement : oh, les Bobos ! Regardez-donc ce qu’ils ont fait ! Mais ce Prince d’Aquitaine n’en a que cure, fort de son quant-à-soi.
Etroit et raide, il toise le petit peuple des chalets au bois de miel, honnête et noueux. Derrière ses baies vitrées légèrement fumées, il est le Karl Lagerfeld des montagnes; tout le reste est Jean-Claude Dusse. Sa vue panoramique toute puissante sur le monde appelle à être immortalisée dans quelque savant magazine ronflant d’architecture haut de gamme. Le reflet d’un rictus atteste de son mépris envers les balcons au poivre et sel grisonnant, patine du temps. Les imbéciles, pense-t-il, persistent à aimer vivre dans des Isbas ! Ces sculptures artisanales, cette chaleur, ce bien être tyrolien où les gens se repaissent le soir en grosses chaussettes de laine et pull mérinos ! C’est bien rêver petit que de vouloir la facilité du confort indépendamment de la classe qu’impose un séjour aux sports d’hiver (dire ‘ski’ ou ‘station’ est un adjectif à la vulgarité inutile)…
Sur cette gravure de mode, le spectacle est partout : de l’extérieur, des lattes à la verticalité froide habillent des lignes épurées de ce qui s’apparente aux contours d’une maison réduite à son minimalisme le plus strict. Côté pile, un assemblage de briques, beiges évidemment, dissimulent l’entrée d’un garage dont le pragmatisme honteux ne saurait être vu. Côté face, l’immense baie vitrée dépourvue de volets fait office d’aquarium, laissant deviner un intérieur forcément design où rien ne dépasse. Point de folklore. Pas de ça chez nous, non Monsieur ! D’ailleurs, rien ne moufte à l’intérieur tant l’harmonie beigeasse domine à tous les étages. La famille qui règne sur ce blockhaus des montagnes s’est elle-même alignée sur la tiédeur ambiante. Des parents aux enfants, jusqu’au labrador lui-même, tout le monde est couleur passe-muraille pour ne pas troubler les ennuyeux camaïeux de grège et de gris. Rien que la nuance, pas de couleur ! La mère au carré blond, cendré et parfait, contemple le tableau de leur séjour aux spoooorts d’hiverrr, comme elle aimera le souligner plus tard dans les dîners en ville, la bouche en cul de poule pour bien faire ressortir les labiales et les labiodentales nécessaires à la supériorité affichée. La cuisine ouverte ne subit aucun désordre joyeux, ni aucune nourriture terrestre d’ailleurs, cela salit, vous comprenez. Une des chambres en hauteur donne encore sur les manants, le sommeil du Juste à la vue et au su de tous. Une vie de poisson en bocal volontairement choisie. Un snobisme éclatant à la face du monde ! Epoux et enfants sont priés de rester dans les tons et de contempler les badauds colorés qui s’attardent au loin, médusés par l’extraterrestre du lotissement. Toute cette perfection chromée du sol au plafond, ces parquets grisés, ces bétons cirés, ce lin éteint, ces loden de pierre, toute cette modernité est tout à coup terrassée par une réflexion au pragmatisme égrillard : »Diable, dans pareil endroit, impossible de lutiner sa femme tranquillement dans la cuisine !« .