Crois-moi, se balader en doudoune rose fluo sur le chemin de l’école, c’était comme si tu avais accroché un panneau lumineux avec marqué : « Eh, Marc Dutroux, Fuck Me, I’m Famous !« . Mais on s’en foutait, car dans années 80, tout le monde était nippé comme un néon.

Quand je te vois dans la rue avec ton fuseau aux motifs à frises, ta coupe mulet et tes baskets montantes tel un Benny B perdu dans Manhattan, Jeune, j’ai envie de te prendre par la main et de te consoler. Mon pauvre Poulain, tu es ridicule. Ce que tu portes est à chier, mais tu ne le sais pas.
Car oui, toi qui es un enfant du XXIème siècle, sais-tu seulement que moi, l’antiquité qui te parle, moi qui suis née au millénaire dernier juste avant la mort de Cloclo, moi, nous, trentenaires, nous avons connu l’horreur des années 80. Et toi, Jeune, tu ne sais pas ta chance d’avoir échappé au massacre vestimentaire et capillaire des eighties. Tais-toi mon Poulain, éteints ton portable, arrête de twitter pour ne rien dire, ça m’agace, crache ton chewing-gum et fermes la bouche quand je te parle !
Vois-tu, chéri, alors que tu étais encore dans les sacoches de ton père, pendant ce temps, moi, nous, fruits des amours de nos parents soixante-huitards, souffrions en silence. Nous étions alors en plein boum des années fric, du plastique moche et fluo, du masculin-féminin revisité, mais avec beaucoup moins de classe que Katherine Hepburn (tu ne connais pas ce nom ? c’est normal. Ne prends pas cet air idiot, tu fonceras plus tard sur Wikipédia. Et tu écriras « Katherine » avec un « K » s’il te plaît).
Vois-tu donc, à cette époque lointaine, la mode était à géométrie invariable : la business woman, empirique ou non, était surpuissante et cela se voyait. La femme n’était plus ronde, elle était triangulaire. De la caissière à Suellen de Dallas, toutes portaient des vestes amples à épaulettes démesurées. C’était très laid, vois-tu, car le tout s’assortissait d’une coupe de cheveux dans ce que l’on a fait de plus hideux depuis la Libération : toutouffe en plumeau sur le sommet du crâne et tempes rasées, ou brushing effilé avec un balayage jaunâtre ou encore la fameuse coiffure à la Lady Diana, dont l’ensemble, il est vrai, faisait penser à un dessous de bras mal peigné. Les hommes non plus n’ont pas échappé à la mode des mocassins à chaussettes blanches, des grosses lunettes de vue à monture métal bien lourde, à la moustache fournie façon Magnum (non, mon Poulain, je ne parle pas de la marque de glaces chocolatées, mais d’une série TV US qui monopolisait tous nos dimanches après-midi). Quand les mecs partaient en vacances, ils portaient une chemise à grossiers motifs hawaïens, assorti à un bermuda fluo. C’était in, je te le jure !
Ah, l’importance du fluo dans les années 80 ! C’est comme si les stylistes (à l’époque, on ne parlait pas de designers, vois-tu, mais de gens qui savaient tenir un crayon papier pour de vrai), donc, comme si les stylistes avaient découvert un gisement de coke. Ils en foutaient partout : sur les casquettes, les robes, les bracelets, les bandeaux de sport, les boucles d’oreilles grosses et rondes comme des boucliers de gladiateurs, les chaussures, tout…! C’était horrible. Et crois-moi, se balader en doudoune rose fluo sur le chemin de l’école, c’était comme si tu avais accroché un panneau lumineux sur toi avec marqué : « Eh, Marc Dutroux, Fuck Me, I’m Famous !« . Mais bon, on s’en foutait, car tout le monde était nippé comme un néon.
L’autre must des années 80, c’était le fuseau, ce que toi, Jeune, tu appelles leggings parce que les designers des années 2000 ont biaisé en anglais pour faire plus chic. Fuseau, ça avait un côté beaucoup trop Belle au Bois Dormant, ça faisait franchouillard, château de province, quenouille qui tombe en couille, négatif, quoi. Tandis que leggings, ça swingue à l’oreille. Et pourtant… pourtant, mon pauvre Poulain, regarde toi dans une glace ! Non, pas dans le reflet de ton I-phone. Voilà. Oui, tu as l’air d’une grenouille sautillante qui se serait habillée sous extasy. Dans les années 80, c’était pareil, sauf que les gens étaient bien moins conscients de leurs erreurs. C’était nouveau, c’était fun. On avait ressorti les chausses du Moyen-âge mais en version XXème siècle. Ordinairement découpé dans une matière synthétique, celle qui fait transpirer même en hiver, le fuseau se parait de motifs géométriques ou de frises pseudo-ethniques, ou bien était uni tout en fluo, c’était d’un chic ! Même Madonna en a porté, je te jure ! Je te parle d’un temps où La Ciccione savait encore chanter sans vocodeur, où ses bras n’étaient pas musclés au point de faire passer Schwarzy pour une mauviette. D’ailleurs, les mecs aussi portaient des fuseaux. Pour faire de l’aérobic, pour sortir en boîte, pour faire des tubes… des trucs comme ça. Sur la tête de Nabilla, je ne te mens pas !

Je peux te dire que déjà, le fuseau était ringard avant d’être démodé. Et ce dernier ne sortait jamais sans son point d’orgue : les baskets montantes ! Oui, Jeune, tu n’es pas le premier à innover cette hérésie du plus mauvais goût. Avant toi, il y a 20 ans, Will Smith triomphait dans Prince of Bel Air, les pieds entravés dans ces chausses aussi laides qu’handicapantes. Lesté de ces deux entraves montantes, le voici qui bondissait, casquette à l’envers, blouson et bermuda fluo à motifs géométriques, dans le salon kitsch du studio en hurlant « Hey, Uncle Phil’! » et d’embrayer sur quelque histoire abracadabrante (oui, Jeune, reprends ton souffle pour lire ce mot qui existe bien; c’est comme le « Supercalifragilisticexpialidocious » de Julie Andrews dans Mary Poppins, mais en version plus intello).
Je ne te dis pas, Jeune, l’épouvante que nous éprouvions quand nos mères choisissaient nos vêtements. Oui, Jeune car à l’époque, notre génération n’avait pas son mot à dire en matière d’habillement. Que ce soit chez Kiabi, Chevignon ou Naf-Naf pour les très riches, jadis équivalent de la haute-couture pour nous. On souffrait en silence. Même déguisés en Cône de Lübeck, on fermait notre gueule. On tuait notre ridicule au fond de nous.
Quand les années 90 sont arrivées, Jeune, je peux te dire que nous avons soupiré d’aise en voyant sur les portants des vêtements monochromes, sobres, d’un gris et d’un noir cache-ta-joie certes, mais au moins le fluo était remisé au fond du placard. Et que notre génération s’est juré de ne plus jamais porter de telles horreurs, même avec un pistolet sur la tempe.
Alors, Jeune, je te demande humblement de réfléchir en te regardant des pieds à la tête dans un miroir. Le leggings, ça ne va à personne. Pas même à Kate Moss, dont les lobbies de la mode essayent de te faire croire qu’elle est la classe incarnée. Le leggings ne pardonne pas une paire de fesses un brin rebondies. Moulant, il te fait ressembler à un batracien sautillant. Pour peu que tu aies le mauvais goût de porter en plus tes baskets montantes, te ressembles à un yuka pris dans un cache-pot hyper cheapos, pauvre Poulain dénué de jugeote. Ce n’est pas parce que c’est dans Vogue que c’est chic. Impitoyable, la grande Mademoiselle Chanel disait « La ballerine fait la fesse mole« . Eh bien, le leggings et les baskets, c’est pareil. Même roulé comme une tige de Chupa Chups, te transformes en jelly. Et nous, Jeune, lorsqu’on te croise dans la rue avec tes congénères, on a un épisode hallucinatoire, comme un retour vers le futur, on se remémore notre misère vestimentaire d’il y a 20 ans. C’est donc avec une certaine pitié et beaucoup de compassion, Jeune, que l’on te regarde.



