Romy Schneider : Naître à Vienne. Mourir à Paris.

On s’emmerdait tellement en Allemagne. Il y faisait aussi gris qu’à Paris, l’esprit de fête en moins. Allez demander à un teuton dînant à 18h de s’encanailler au Lido pour finir au petit matin devant un café-crème, le visage froissé des excès de la nuit. Il vous tirera une gueule de six currywürst de long.

Romy Schneider dans les bras de sa mère, l’actrice Magda Schneider. 1941

Cela commence dans une ville en fureur, le vendredi 23 Septembre 1938. Vienne n’est plus une capitale impériale riante de valses et de Heurigen où le sang viennois se nourrit de vin nouveau. Finis, les intellectuels qui joutent leurs esprits brillants en croisant le fer à coup de bocks de bière amère ou de délicates porcelaines emplies de chocolat onctueux. L’Anschuss est passé par là. On ne danse plus. Et si on lève le bras, ce n’est plus pour étreindre une cavalière, mais pour saluer bien haut le nouvel ordre en place. Et de façon bien raide, s’ilvousplait.

Dans cette cité des arts naguère galante et un brin guindée, retentit un cri. Il est 21h45. Rosemarie Albach-Rhetty vient de naître. Elle ne porte pas encore son nom de scène, moins chargé en allitérations : Romy Schneider. C’est un bébé Cadum blond et joufflu, correspondant parfaitement à l’idéal du Troisième Reich. Une petite aryenne aux yeux qui resteront bleus. Un physique comme un ausweis qui permettra plus tard à sa mère, Magda Schneider, d’emmener sa fille faire des niches avec les bambins Goering au Nid d’Aigle d’Hitler, sis à proximité du chalet familial. Sympathie au régime nazi ? Gageons que Magda, empreinte d’un esprit fortement matérialiste, n’a pas hésité à exercer toute la flagornerie nécessaire pour être dans les petits papiers du Führer. Et tant pis s’il faut s’appuyer les nombreux anniversaires de la progéniture des dignitaires nazis gravitant au Berghof. Être parmi les rares artistes à être exempts d’impôts, ça ne se refuse pas. Ça se travaille, même. A cheval donné, on ne regarde pas les dents.

Naître à Vienne. Mourir à Paris. Entre temps, la petite Rosemarie va faire du chemin. Elle va d’abord s’écorcher les genoux sur les chemins poudreux de Berstengaden. Une petite bourgade faite de coucous suisses débordant de géraniums rouges, comme sur les cartes postales, dont au socle est posément collé aux pieds de paisibles montagnes. Romy ? Une petite Heïdi flanquée de robes bavaroises folkloriques, de salopettes de daim brodées d’edelweiss immaculés, boucles d’or blanc et sourire coquin. Une grande sœur autoritaire pour son petit frère Wolf-Dieter né en 1940, lui aussi parfaite réplique du rêve hitlérien.

Romy n’est pas une enfant commode. Elle mène à la baguette son cadet. Boude souvent, souffrant de l’absence d’un père et d’une mère passant leurs vies en tournages, en dépit de grands-parents aimants qui les élèvent. Une nourrice, Hedwig, vient leur prêter main forte et se plaît à noter tous les progrès de celle qu’elle surnomme sa « petite princesse ».

L’air pur, une vie saine faite de baignades dans la fraicheur des lacs, le parfum des fleurs de montagne, signent une enfance loin des terribles enjeux d’un conflit mondial. Tout juste la petite Romy se rappellera plus tard quelques heures passées dans des refuges lors des bombardements. Elle en gardera un souvenir cuisant où, affirmera-t-elle plus tard, âgée de six ans, elle fût victime d’attouchements de la part d’un adulte. On n’en saura pas plus. Romy taisait ses douleurs, préférant les expier dans ses rôles

Enfant de la balle, la jeune Rosemarie n’échappe pas à l’hérédité. Après tout, sa grand-mère, Rosa Abach-Rhetty, joue encore sur les planches du Burgtheater à un âge avancé. L’Empereur François-Joseph lui-même fût son humble spectateur. Voici donc Romy qui déguise Wolfi et monte des pièces de théâtre. Son pataud de petit frère a intérêt à se tenir à carreau. Affublé de vieux draps et de serviettes en guise de costumes, il est sommé par sa grande sœur de rester immobile le temps qu’il faudra. Le ton, martial, est sans appel. Gare s’il désobéissait !

Naître à Vienne. Mourir à Paris.

Mais avant de connaître la bohème de St Germain-des-Près, celle qui n’est encore que Rosemarie Albach-Rhetty traîne ses sabots de bois et cuir au pensionnat de Goldstein, à cinq kilomètres de Salzbourg. Une forteresse tenue par de sévères carmélites menant d’une main de maître un mode de vie frugal dans l’Allemagne de l’après-guerre. De 1949 à 1953, Romy va mener une vie normale d’écolière. Des camarades exclusivement féminines comme il se doit, des réprimandes, un mutisme face au divorce de ses parents et aux rares visites de sa mère. Son inclinaison pour les arts et l’anglais dessine déjà son destin. En cachette, elle s’échappe voir des films au cinéma, rêvant être Audrey Hepburn dans ‘ Vacances Romaines’. La jeune femme aux cheveux courts semble tellement libre… Elle ignore encore qu’elle tournera avec la fair lady vingt-six ans plus tard dans Bloodline. Pour le moment, elle se contente d’admirer la nouvelle coqueluche du cinéma américain dévorer des gelati sur la Pizza Navone et sillonner Rome sur la Vespa de Gregory Peck.

A la stupéfaction de ses congénères, Rosemarie Albach revient de chez le coiffeur la coupe d’Audrey Hepburn. Au pays des Gretchen à nattes et chignons cul-serré, c’est une révolution. Tant pis pour les moqueries mesquines ‘Pff, on dirait une actrice !’, qui mettent ses nerfs en boule, lui donnant envie d’un découdre. Rosemarie Albach veut être une jeune femme de son temps.

Naître à Vienne. Mourir à Paris. Paradoxalement, sa carrière fulgurante va d’abord se bâtir sur la nostalgie de la Vienne impériale. Celle des barbons ventrus en rouflaquettes et des crinolines aussi encombrantes qu’un porte-avion. Rosemarie Albach-Rhetty n’est plus. Trop empesé, à la manière des bâtiments viennois construits sous l’ère Marie-Thérèse. Pour devenir Sissi, il faut alléger tout cela ; désormais, elle sera crème fouettée. La voici devenue Romy Schneider. Un nom de scène dont le patronyme emprunte celui de sa mère. Son père, Wolf Albach-Rhetty, est définitivement effacé de son identité. Après tout, ne s’est-il pas évaporé lorsqu’elle avait à peine 4 ans ? C’est un juste retour des choses.

Mourir à Vienne. Renaître à Paris. Usée de jouée les princesses en pâmoison, à l’issue des années 50, Romy Schneider rejoint Delon en France. Par goût du risque et amour tout court. Adieu, valses, violons, dirdl. A 21 ans, elle dynamite une carrière toute tracée dans des films à l’eau-de-rose dédiée à un public acquis d’avance. Un million de marks en échange d’un Sissi IV n’y changeront rien. C’est la petite Rosemarie Albach-Rhetty qui a parlé. La gamine têtue de Mariengründ qui n’aimait pas en démordre quand elle avait décidé quelque chose. Ce serait Alain ou rien.

Exister à Paris n’en est pas moins plus difficile quand on a aucune connaissance de la langue de Molière ni aucun réseau dans l’intelligentsia parisienne. Il lui faudra de la patience, des heures de diction à réciter Les Fables de La Fontaine avec un accent de hache, épater Visconti et le tout-Paris sur une scène de théâtre en 1961. Un tour de force qui la laissera exsangue, mais qui sauvera sa carrière et son estime auprès des plus réticents vis-à-vis de la petite allemande.

S’emmerder à Berlin. Regretter Paris.

Evidemment, vous connaissez la chanson. La vie de Romy Schneider a tellement été mâchée et remâchée qu’on vous épargnera en vous la faisant courte. On omettra sa courte carrière à Hollywood qu’elle a peu appréciée, excepté Le Procès tourné avec Orson Welles. Peut-être vous étonnera-t-on de vous révéler qu’elle a détesté tourner le ‘What’s new Pussycat ?’ de Woody Allen. L’humour du new yorkais la laissa de marbre. Elle ne se laissa pas plus convaincre par ses partenaires prestigieux et le rythme endiablé du film. La B.O entraînante de Tom Jones n’y changea rien non plus. Romy pouvait se montrer une véritable tête de hans. L’authentique Schneider n’aimait pas ‘les coucheries’ gratuites. Tourné sous le soleil écrasant d’Espagne, 10h30 du soir en été de Jules Dassin, ne trouva pas non plus grâce à ses yeux, qualifiant l’œuvre de ‘film porno, rien de plus’. Une opinion que n’aurait pas renié les cornettes du pensionnat de Goldstein. Les années 60 et leur obscur cinéma d’avant-garde n’était pas faites pour elle. Le noir et blanc franco-allemand du soporifique La Voleuse, le minimalisme germano-pratin du Combat dans l’île et les étrangetés comme Otley ou La fantastique histoire d’Eddie Chapman, lui firent quitter la décennie pour pouponner à Berlin sans regret. Elle était une mutter se consacrant pleinement à son premier-né. En bonne allemande, elle le nourrissait au sein. Bonne épouse dévouée à Harry Meyen, intellectuel bigleux et froid, elle s’était convertie aux salades de kartolfen dévorées au coin du feu. Tout cela avait un côté rassurant. Un retour aux valeurs rond-de-cuir que n’auraient pas renié le Kaïser. On s’emmerdait tellement en Allemagne. Il y faisait aussi gris qu’à Paris, l’esprit de fête en moins. Allez demander à un teuton dînant à 18h de s’encanailler au Lido pour finir au petit matin devant un café-crème, le visage froissé des excès de la nuit. Il vous tirera une gueule de six currywürst de long.

Aussi, quand l’appel de tourner La Piscine sur la Riviera se fit entendre, elle sauta dans son bikini noir pour se retrouver à demi-nue dans les bras de Delon. Alain, encore lui. Sourire canaille et lunettes noires. Son ancien amour l’avait sauvé d’une mort lente semée d’oubli dans les limbes du 7ème Art. Pas question de mener sa vie au conditionnel. Les ‘J’aurais pu, j’aurais dû…’, ce n’était pas pour elle, si abrupte, si franche dans ses désirs. Elle était actrice avant tout. Jadis elle faisait trembler les planches du théâtre de Goldstein, en Faust féminin. Le Diable avait déjà choisi pour elle.

Naître à Vienne. Mourir à Paris.

Quelques Sautet plus tard, elle rayonnait sur le cinéma des années 70. Les français étaient tombés sous le charme de cette femme simple, aux accents bruts et regard franc. Elle ne savait pas mentir. Le peu d’interviews qu’elle donna en témoigne. Pas de coquetterie chez Romy mais un souci d’être toujours au plus près du mot juste pour exprimer une opinion dans une langue qui n’était la sienne. Une sincérité qui a déconcerté plus d’un et d’une journaliste. Une volonté d’airain que l’on retrouvait dans ses films. De Zulawski à Chabrol, de Tavernier à Rouffiot, tous louaient sa ponctualité et son engagement sans faille. Ceux d’une enfant rompue à un passé de métronome.

Naître à Vienne. Mourir à Paris.

Naître à Vienne. Brûler la chandelle à Paris.

Paraître dix années de plus à 43 ans, cabossée par la vie.

Poser pour Paris Match dans un dernier sursaut. Regard de cocker blessé par des nuits d’insomnies et la perte d’un fils.

Avoir la rage de vivre à Paris et tourner à Berlin. L’Allemagne, une dernière fois. Ironie du sort, dans un décor nazi de fiction. Jouer Elsa Wiener hurlant au massacre d’un garçonnet juif. La boucle semblait bouclée symboliquement.

Tout le reste est littérature. Naître à Vienne un soir d’automne. Mourir à Paris en Mai, au petit matin. Au 11, rue Barbet-de-Jouy, VIIème.

Romy Schneider bébé, 1939

Romy et Wolfi, Mariengründ1944 environ.

Romy et Magda, devant le chalet de Mariengründ. Années 40.
Romy Schneider, 1947 environ
Romy Schneider lors de sa première communion, 1948 environ
La jeune baigneuse de Mariengründ. Années 40.

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