Merde, (on m’a offert) une orchidée !

Les orchidées aussi se cachent pour mourir...
Les orchidées aussi se cachent pour mourir…

Elle a débarquée sans crier gare, juste comme ça, avant l’apéritif. La sonnette a retentit, j’ai éclairé le couloir, ouvert la porte et tout à coup, des mains que je croyais amies m’ont fourgué avec la rapidité d’un soldat ayant dégoupillé une grenade, un pot dans les bras. J’ai jeté un coup d’œil furtif à la chose, ma pupille s’est soudainement contractée, un mouvement de panique a envahit mes mains, fait hausser mes sourcils vers des cieux d’inquiétude. C’était une orchidée. J’étais foutue. Une de plus dans mon cheptel de monocotylédones, terme barbare pour désigner cette espèce végétale qui le don de ne jamais refleurir. Merde, on m’a offert une orchidée !

J’ai emporté l’ennemi précautionneusement tout en remerciant mes invités avec chaleur, « Une orchidée, mais c’est magnifique, j’adore les orchidées ! », répétant à tout trac le mot maudit comme pour conjurer le sort qui l’attendait. Le dîner se déroula à merveille, il était pour ainsi dire, presque parfait. Je dis presque, car l’orchidée se tenait là, en toile de fond, sournoise dans son emballage pastel, ses fleurs penchant avec la grâce d’une danseuse étoile. Mes amis se sont effacés dans la nuit me laissant seule avec cet embarrassant témoignage de leur affection. Merde, on m’avait offert une orchidée ! Une de plus.

Car hélas, l’orchidée est le cadeau floral le plus courant depuis quelques années. La composition harmonieuse de ses branches et de ses fleurs permet aux indécis d’aller droit au but. Pas de couleurs à assortir, pas de choix cornélien à faire sur le nombre de roses, pas de taille de bouquet à débattre. L’orchidée apparaît comme une entité simple et commode. Elle se transporte avec aisance, elle force l’admiration des passants selon la taille et le nombre de pousses, elle porte à penser qu’offrir une orchidée, c’est le comble du chic. Merde, on m’a offert une orchidée !

Pendant quelques semaines, ce fût le statu quo. Nous nous ignorions avec superbe. Elle, toujours endimanchée dans son écrin de feuille de soie et de cellophane. Moi, passant et repassant devant elle en détournant la tête, la pensée polluée par la catastrophe suivante : merde, on m’a (encore) offert une orchidée ! Puis je ne résistais plus. Un soir, j’arrachais sa tenue artificielle. Fini la soie et le cello. Le pot mis à nu rendait cette dernière une allure plus modeste, pour preuve cette fleur qui se balançait sagement, comme résignée. La princesse était redevenue Cendrillon. Le bal était fini. C’est le lendemain que les hostilités commencèrent. La belle tubéreuse mis en marche sa propre destruction. Une à une, ses fleurs se mirent à flétrir, puis à pâlir pour enfin tomber dans un bruit sec, laissant à la vue le squelette courbé d’une tige mendiant quelque secours. Merde, on m’avait offert une orchidée !

Désemparée, j’entreposais le pot de terre dans un coin avec ses autres consœurs malheureuses et déplumées. J’eus beau vaporiser, tremper, attendrir la terre, caresser les griffes menaçantes de ses racines, jamais, o grand jamais elle ne refleurissait. Seules subsistaient ses feuilles en oreilles de cocker : grasses, épaisses et pendantes. Stoïques, elles ne laissaient deviner aucune amélioration ou dégradation future. La tige demeurait sournoisement stérile, se moquant bien de mes menaces ou de mes encouragements. Ni morte ni vive, elle occupait pourtant un espace qui aurait pu convenir à un bibelot. Elle n’était ni à garder ni à jeter. Elle posait, muette, dans cet entre deux-mondes dévolu aux intouchables. Elle n’avait pas de parti pris ni dans la mort, ni dans la vie. Elle se laissait aller dans une aisance importune, attendant avec délectation la venue des génies qui avaient eu cette idée de cadeau phallocrate. Génies qui, une fois le seuil franchi, ne manqueraient pas de flatter la bonne santé de ses feuilles et de prédire une floraison future qu’ils savaient pertinemment hypothétique. En attendant le bon vouloir de sa disparition complète, j’étais condamnée à materner cette bête étrange mi-mâle, mi-femelle et à maudire son fonctionnement aussi mystérieux que casse-couilles, dont, ironie du sort, l’origine de son appellation venait d’orchis, signifiant « testicule » en grec.
Merde, on m’avait offert une orchidée…

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Karine dit :

    Très bien écrit, on imagine tellement bien la scène. Bravo pour la chute, je savais pas :))

Répondre à Karine Annuler la réponse.

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s