Quand la lumière crue de la salle de bain frappe ton visage à nu, l’artifice se fait cruel : peau tendue par le mensonge esthétique, chirurgiens faiseurs de mythes momifiés, bonimenteurs au scalpel plus destructeur qu’un mauvais box-office… tout respire en toi le malheur de ne pas vouloir s’adonner au temps qui passe. Qu’est-ce t’as foutu, ma loutre ?

You were so cute, Meg. Oh, oui, que tu étais mignonne, Meg. On se rappelle de toi comme d’une jolie blonde au sourire charmeur, les yeux dans le vague et la tête penchée, bien calés dans la comédie romantique. Ce numéro-là, tu le connaissais par cœur. Il suffisait que tu inclines ta tête de quelques degrés, là, juste ce qu’il fallait. Ni trop peu, ni trop tout court. Ton truc de star était aussi précis qu’une équerre, aussi infaillible qu’un fil de plomb. Puis, tu laissais tes yeux vert d’eau s’embuer, un petit miaulement poussif achevait tout cela et on craquait tous. You were so cute, Meg.
Ok, tes films étaient assez cul-cul, mais on aimait bien. Ça sentait le potiron d’Halloween, les immeubles de briques de l’Upper West Side, l’exotisme des librairies façon Barnes&Noble, le donut gras et sucré, la vie facile et à emporter. Tout un univers à découvrir… C’était cosy, c’était confortable, les enfants étaient toujours blonds et délicieusement naïfs même si ça sentait quand même le wasp bien léché, bien peigné, bêtement patriotique et nourri au maïs OGM. Mais nous étions dans une comédie romantique, alors la politique, on s’en foutait. Un président afro-américain dans 10 ans? « Et la marmotte, elle met du chocolat dans l’papier alu… » Quand les rats auraient des tumeurs à cause des plantations transgéniques, mouais, peut être… You were so cute, Meg. Avec toi, on se baladait dans le New York des années 80, pestant contre le cynisme d’Harry, on se donnait rendez-vous avec Tom Hanks au sommet de l’Empire State Building pour une rencontre aussi improbable que millimétrée par des scénaristes licenciés ès Happy end. Avec toi, on connaissait les premiers émois informatiques et le Frappuccino de Starbucks, on était au chaud avant que les Twins Tower soient les quatre fers en l’air, leur gueule béante sur un Ground Zero à l’écho syllabique résonnant comme un trait faisant rase du passé au sens propre comme au figuré. Allemagne, année Zéro. New York, Big Apple réduite en compote de cendres. You were so cute, Meg.
Maintenant que les jumeaux de béton sont à six pieds sous terre, que les intégrismes de tous bords se soulèvent, que la télé-réalité est reine, le XXIème est bien amoché et toi aussi. Avec tes joues gonflées à l’hélium et ton front plus botoxé qu’une boîte de conserve périmée, Meg, on pourrait envisager la taxidermie. Grâce à ta bouche siliconée, toi aussi tu as rejoint le club des trout pout*, les moues de truite. Qu’est-ce t’as foutu, ma loutre ? Tu étais très bien avec tes pattes d’oies au coin des yeux, ton sourire un peu fané, tes fossettes creusées par le temps. You were so cute, Meg. Mais, idiote, tu as cédé à la maladie d’Hollywood : plutôt gonfler que vieillir ! Pauvre petite fille, tu n’aurais jamais du accepter le calice trompeur de l’éternelle jeunesse. « On ne peut pas être et avoir été », disait ma grand-mère. Meg, tu t’es vue quand t’as bu ? Poisson-lune aux globes oculaires écarquillés, seul organe vivant dans toute cette masse gélifiée, tu évolues sur les red carpet, la face luisante giflée par les appareils haute définition. Car la modernité numérique ne pardonne rien. A quoi bon avoir la peau tendue comme un string et des mains trahissant grossièrement la punition du temps ? Car rien n’est plus Judas que des doigts vérolés de tâches brunes, signe annonciateur de l’automne de la beauté des femmes ? You were so cute, Meg.
Ce n’est pas tout, ma pauvre chérie. Non contente de te résumer à une boursouflure, tu t’es fait contaminer par la consomption, dernier truc en vogue pour donner l’illusion de la taille 36. Calibre fatal des stars qui transforme les bras en deux carcasses torturées et rachitiques, les veines en cheveux de gorgones menaçantes… Qu’est-ce t’as foutu, ma loutre ? On était pas bien, toutes les deux, vers notre quarantaine qui s’assume refusant le ridicule des minauderies ? You were so cute, Meg. A force de ne plus manger, tu vas finir par disparaître… d’ailleurs, depuis ton effarante transfiguration, tu tournes moins, les producteurs s’enfuient lorsqu’ils te voient arriver l’œil frétillant, tes deux boudins luisants découvrant un sourire désespérément perdu entre deux fossettes en montgolfière. Pour appuyer l’illusion, tu as même adopté une petite chinoise, redevenant tout à coup une jeune maman, comme Angelina, Jennifer, Nathalie et les autres… C’est idéal pour les tabloïds de te voir courir à l’école, porter l’enfant-it bag, faire du shopping junior à Paris… Ton plan était presque parfait.
Et pourtant, le soir, quand la lumière crue de la salle de bain frappe ton visage à nu, l’artifice se fait cruel : peau tendue par le mensonge esthétique, chirurgiens faiseurs de mythes momifiés, bonimenteurs au scalpel plus destructeur qu’un mauvais box-office… tout respire en toi le malheur de ne pas vouloir s’adonner au temps qui passe. Regarde Ava Gardner, regarde Vivien Leigh, regarde Claudia Cardinale, regarde Romy Schneider, regarde Meryl Streep, regarde Charlotte Rampling, Meg. Toutes ont accepté le sillon qui désole la joue naguère rebondie, l’iris pâlissant, la fesse qui s’engraisse, la paupière plus lourde… Même Brigitte Bardot a rendu les armes, soumettant son visage à une dévoration sans concession. You would have been so cute, Meg. Quel dommage… à présent, tu es une pauvre petite étoile contemplant, vacillante, la couverture de magazine inavouablement retouchée, triste portrait d’un Dorian Gray refusant la loi organique, nourrie des miroirs aux alouettes « trout pout« . Illusion, bêtise, vanité d’éternité… Alors, Meg, une question, qu’as-tu fait, qu’as-tu fait de ta vieillesse ?
* trout-prout : terme employé par les médias pour désigner les actrices ayant abusé du silicone dans les lèvres, leur donnant ainsi une « moue de truite ».
Note : parmi les références cinématographiques évoquées « Quand Harry rencontre Sally« , « Nuits Blanches à Seattle« , « Vous avez un mess@ge » qui constituent les films phares de Meg Ryan.












