Au milieu des confettis, nous, les insoumis à cette joie collective imposée relevant quasiment du kolkhoze, nous nous isolerons dans une petite pièce sombre, le verre de champagne tiède abandonné sur le coin d’une table, pour se terrer dans un fauteuil, solitaires et plein de désespoir.
Vu le cynisme de House, vous risquez de le trouver aussi dans le camp de ceux qui détestent le Nouvel An.
Je vous jure, j’ai tout essayé pour l’aimer : le fêter entre amis, le fêter en famille, en ville, à la montagne, avec ou sans langue de belle-mère, avec ou sans belle-mère, en robe de soirée pleine de frous-frous, en pyjama pilou-pilou, voire même au fin fond d’un igloo. Mais, il n’y a rien à faire : je déteste le Nouvel An. Je hais profondément cette grande messe mondiale, ce bal des hypocrites où le trentain et le champagne sont aussi obligatoires que le permis de tuer dans un James Bond. Le Nouvel An, quoi ? Le Nouvel An, bah ! Le Nouvel An, moi ? Le Nouvel An… quoi-qu’en foutre ?!
La Nouvelle Année… la Nouvelle Année dégouline de mauvais mousseux, la Nouvelle Année sirupe de sourires ultra-brite, la Nouvelle Année logohrre de recommandations comme autant de pavés de bonnes intentions vers l’Enfer « Ah, ben oui, on espère que tu auras ton concours cette fois, hein ?! », la Nouvelle Année pète de feux d’artifices et d’une éruption de poncifs aussi cuisants que la lave en fusion : « Bon ben, et surtout santé à tous ! ». Evidemment, ce serait bien plus rigolo de tomber sur le vieil oncle vachard envoyant paître tout le monde par un « Je vous souhaite de crever tous, vite mais bien ! »…. La Nouvelle Année, ah, peste que la Nouvelle Année…
Ô, 31 décembre agonisant sous sa bedaine empesée aux huîtres et à la bûche grasse de supermarché… Ô, 31 décembre, mois splendide dédié à la féérie de Noël, aux contes mêlant La Reine de Neige d’Andersen, aux vieux films des après-midi télé que l’on n’avouera pas regarder…Ô 31 décembre achevé dans une mauvaise émission festive préenregistrée de quelque animateur-vedette triomphant sous des rires artificiels. Ô 31 décembre dessapé dans un immonde compte-à-rebours hurlé par une foule en liesse aussi délirante qu’une gorgone schizophrène…. Ô 31 décembre détruit aux douze coups de minuit. Ô 31 décembre, éparpillé en cotillons qui joncheront le sol comme autant de cadavres après une bataille…
Le Nouvel An est une détestation qui se savoure pour tout être cynique et paniqué par ce saut vers l’inconnu. Saut qu’il faut réitérer tous les 12 mois sans avoir le temps de respirer un temps soit peu. Car vous ne pensiez pas arriver entier au bout de cette année qui se termine… Ah, ce virage à ski qui a faillit vous envoyer ad patres, ah cette réunion au printemps si pénible où vous vous êtes ridiculisé, ah ces vacances d’été où l’avion a manqué d’atterrir autrement que sur la piste, ah, cet ami cher décédé d’une longue maladie, ah ce long automne pluvieux,ah, cet examen médical au résultat quitte ou double… et pourtant vous voilà entier, une coupe de champagne à la main, bien vivant, au milieu de la troupe ivre et festive. Et pourtant, vous auriez aimé un peu de répit, vous auriez aimé savourer cette halte… Décembre, cela signifie que vous êtes arrivé au bout de la route, sans encombres ou presque, que cette longue traversée s’achève devant un sapin rutilant et une table bien garnie… Pourtant, les cyniques du Nouvel An comme moi savoureront de moitié cette victoire. Car, au milieu des rires s’oubliant dans le tintement des flûtes, au milieu de ces yeux écarquillés tenant absolument à se planter au fond de votre rétine, justifiant cette intrusion grossière sous prétexte que « ne-pas-se-regarder-dans-les-yeux-pendant-que-l’on-trinque-porte-malheur » (avouez qu’on vous l’a déjà faite !), nous, les mal-léchés, les paniqués, les enfants mal dans leur siècle, auront à l’esprit les disparus qui sont restés sur le bord de la route, la phobie de ce tapis de 12 mois qui va se dérouler, ce saut sans parachute que l’on vous pousse à faire à coups, non pas de pieds-au-cul, mais de verres qui trinquent… Alors, au milieu des confettis dont vous n’avez que cure, des flonflons, des idiots à l’esprit dénué de questions existentielles, nous, ours mal-lunés, nous, les aigris du turlututu-chapeau-pointu, nous, les insoumis à cette joie collective relevant quasiment du kolkhoze, nous nous isolerons dans une petite pièce sombre, le verre de champagne tiède abandonné sur le coin d’une table, pour se terrer dans un fauteuil, solitaires et plein du désespoir de ceux à l’avenir pétri de doutes. Avec en épée de Damoclès, la crainte du temps qui passe, insensible aux cotillons de pacotilles conjurant le sort, la crainte de ne pas passer cette nouvelle année, la crainte de l’issue accélérée notre destinée de mortels… Heureux les imbéciles ignorant leur sort avec perte et fracas !
Au loin, dans la nuit d’encre étoilée, comme autant de bombes agressant vos oreilles, éclateront des pâtés de feux d’artifices, rediffusés le lendemain jusqu’à écœurement sur les chaînes télévisées. Le Nouvel An à Sydney, à New York, à Londres, à Berlin… L’illusion utopique des lendemains qui chantent par la magie du chiffre à Berlin, à Londres, à New York, à Sydney… Le Nouvel An, l’inconnu, le monstre, l’ogre jamais rassasié de vos incertitudes… Le Nouvel An… quoi, le Nouvel An ?