Lauren Bacall : La Fille aux yeux Revolver

Être le dernier Monstre Sacré d’Hollywood : En Avoir ou Pas.

Pour survivre à Hollywood, il faut avoir du cran
Pour survivre à Hollywood, il faut avoir du cran

« Hey, lui dit un jour Kathleen Turner en la rencontrant, I’m the new young you ! ». La déculottée physique de l’aventurière du Diamant Vert rattrapera vite l’impudente ayant osé se comparer à la grande Lauren.

Elle avait la blondeur black and white et le regard qui tue. Compagne des 400 coups de Bogart, il suffisait à cette fille d’abattre ses yeux d’acier pour posséder qui elle voulait. Elle ne ratait jamais sa cible. Elle aurait pu avoir à ses pieds n’importe qui de la VIP list d’Hollywood qui soit hétéro, mais elle choisi un visage grêlé par la petite vérole, bouche molle, cargaison de cernes et pupilles de chien battu. La personnalité d’Humphrey Bogart faisait oublier son physique plein d’aspérités. Loin des pores retouchés sur papier glacé, il rendait fou les maquilleurs chargés de gommer son amour excessif pour le Brandy et toute autre substance éthylique. Bogey serait toujours Bogey : briscard entre deux âges parfumé au malt et au tabac qu’il fumait comme une locomotive en furie. Mais Lauren était tombée sous le charme. Elle voulait tourner avec Cary Grant; elle avait eu Humphrey Bogart. Pas assez beau pour la faire tomber en pâmoison, mais assez impressionnant pour faire vaciller cette fille dopée par une mère célibataire et ambitieuse. Elle avait 19 ans lorsqu’elle rencontra Bogey. Habile, cette fille de pub ayant posé un temps pour des magazines de mode, avait dissimulé son effroi lorsqu’elle dût jouer sa première scène avec ce monstre déjà marqué par les mandales de la vie. Crânement, elle avait planté ses deux étoiles polaires dans le noir profond de l’acteur, tels deux bâtons tranchants brisant la glace. De près, Bogey avait la peau parcheminée, on pouvait y lire ses souffrances de noceur aimant égayer ses nuits au Bourbon. Son imperméable et son feutre mou sur cheveux disciplinés au Pento*, ajoutaient du mystère au personnage qui semblait condamné aux complots qui se jouent dans des bars louches. Et Bacall arriva. Belle, le sourcil en circonflexe annonçant la gamine pas facile, lèvres laquées au rouge passion, crans renversants et silhouette élancée prédisant la femme moderne. Dix-neuf ans et du culot plein les gambettes qu’elles avaient fines, dessinées pour porter le tailleur hollywoodien indispensable au Film Noir. Un mètre soixante treize d’exotisme roumano-polonais se tenait devant Bogart, lui, l’homme de sang espagnol refroidi par une éducation presbytérienne. Lauren était, elle aussi, faite pour les secrets d’état, la propagande, la pègre chic, les baisers enfumés sur les ports angoissés. The look était la seule à avoir secoué Bogart. Au-delà du whisky le plus serré de tous les temps. Sa voix rauque, surprenante, avait émergé du tréfonds de ses entrailles, effectuant dans le cœur de Bogart un tremblement de magnitude 7. Pour continuer le jeu des chiffres, on pourrait ajouter que 25 ans de différence, trois mariages et deux divorces séparaient Bogart de Lauren Bacall. Bogart, c’était surtout deux paquets de Chesterfield sans filtre par jour, un nombre indéfini de milligrammes par litre de sang, selon l’humeur et les copains de beuverie du moment, une année de naissance remontant aux six derniers jours du XIXème siècle, 47 tournages et une nomination aux Oscars. En contrepartie, Lauren Bacall n’a que quelques comédies mineures sur les planches de Broadway et une couverture pour Harper’s Bazar. Le Port de l’angoisse est son premier film. Moins d’un an plus tard et 11 jours après le troisième divorce de Bogart, ils se marient sans cérémonie. Tailleur crème et orchidées blanches pour Lauren, costume de tweed gris, main dans la poche et clope au bec pour Humphrey. Dans la vie privée, il devient Bogey. Un nom qui tangue d’une ivresse joyeuse. Seule Lauren Bacall sait prononcer ce surnom avec ce timbre grave et unique. Comme Bogey, elle s’adonne au démon nicotine, mais pas assez pour sombrer dans la maladie. Avec Humphrey, elle connait 11 années de bonheur : deux enfants, dont Stephen, un mini-Bogey aux yeux d’un bleu pur, une villa hollywoodienne et un chien. L’American way of Life. Papa Bogey filme son fiston, on se baigne dans la piscine turquoise, on tourne encore trois films ensemble. Le grand sommeil, Les passagers de la nuit, Key Largo, tous des cartons au box-office. Et puis, fin 1956, Bogey se met à tousser mauvais. Cancer de l’œsophage. Il a trop bu, trop fumé. « Les cigarettes sont les clous de mon cercueil. », lance-t-il, un jour, désabusé, une Chesterfield avec filtre dans une main, sa seule concession à la maladie. Un matin de janvier 57, Bogey regarde une dernière fois les yeux d’huskies de sa Lauren. Il s’éteint, soufflé par sa passion tabagique dévoratrice. Avant qu’il ne parte en fumée, ironique jusqu’au bout, Bogey se fait incinérer, Lauren Bacall pose sur sa dépouille un sifflet d’argent, objet culte de leur premier film. « Just put your lips together and blow… »*, lui lançait, mutine, une Lauren définitivement canon. Belle et charismatique, l’actrice le reste. Son regard mythique, son style masculin-féminin inspire d’autres générations d’actrices. « Hey, lui dit un jour Kathleen Turner en la rencontrant, I’m the new young you ! ». La déculottée physique de l’aventurière du Diamant Vert et de la Guerre des Roses rattrapera vite l’impudente ayant osé se comparer à la grande Lauren.

Les décennies passent, Bacall semble inoxydable. Elle a toujours ce sourire frondeur, ce regard franc qui semble ne rien craindre, pas même la fuite du temps. Elle fait désormais partie de ces Monstres Sacrés ayant connu un Âge d’Or qui n’est plus… « Tout est médiocre, de nos jours », dit-elle désabusée lors d’une interview. Aux bras de son fils, Stephen, dont la ressemblance avec Bogey est frappante, la version vieillie d’Humphrey avec Lauren à son bras fait effet d’une distorsion temporelle. Si Bogey avait passé la soixantaine… ils seraient tous deux un gentil couple de retraités américains vivant sur leurs gloires passés et leurs fonds de pensions. Médiocre, en effet. Car le Septième Art n’aime pas la normalité ni les histoires qui finissent bien. Surtout chez les amants de légende. Pour accéder à ce label privilégié, il faut que l’un des deux conjoints soit ad patres depuis longtemps. Richard Burton a cassé sa pipe avant Elizabeth Taylor. Marilyn Monroe avant de pouvoir se remarier avec Jo di Maggio, Ava Gardner a chanté au Paradis avant Sinatra… Le Panthéon des stars se mérite à coups de vies manquées, de retrouvailles tardives, de bonheur fugace. Le dernier vivant peut alors raconter la vie d’avant à deux. Conter son Monstre Sacré au quotidien, la magie de leur rencontre, la fin tragique de l’autre. Et Lauren n’a pas été avare dans ce domaine, publiant deux autobiographies, en plus de celle écrite par son fils, Stephen, à propos de son cher papa Bogey. Memories are money.
En 2009, face à un parterre de stars, Lauren Bacall reçoit un Oscar pour l’ensemble de sa carrière, elle, l’oubliée du hochet de l’Academy Awards. Gracieuse, elle remercie son public et l’ensemble de la profession. Elle a 85 ans et elle n’est pas dupe. L’Hollywood qu’elle a connu n’est plus depuis longtemps. Les Gable, Grant, Mitchum, Garland, Mansfied, Hayworth, Hepburn mangent désormais les pissenlits par la racine. On la regarde comme une relique curieuse et on compte ses derniers jours. Avec Olivia de Havilland, (dernière survivante du casting de stars d’Autant en emporte le Vent, 93 ans au compteur) et Tza Tza Gabor (ex-superstar de l’Age d’Or, 92 ans), elle fait partie des derniers dinosaures ayant côtoyé les Nababs des studios et vécu l’époque bénie où stars ne twittaient pas leurs états d’âmes ni leur dernière liposuccion. Elle est une antiquité du glamour, la fille aux yeux revolver… On peut entendre de temps en temps sa voix dans des films, on l’invite à des tapis rouges pour vérifier si elle est toujours bon pied, bon œil. C’est moche, ce monde entier qui guette votre mort et se repaît de votre décrépitude. Malgré l’oscar d’honneur, ça ne sent pas encore le sapin. To Have or to Have not*. La fille aux yeux revolver a décidé de résister. Jusqu’à ce que, en plein été new-yorkais, Lauren Bacall, Betty pour les intimes, plonge dans l’éternité du grand sommeil… Les médias peuvent enfin servir leurs viandes froides* préparées depuis longtemps. Les biographes sans scrupules auront le feu vert pour publier leur bio-nécrologie. La grande faucheuse arpente Hollywood Boulevard, chassant les étoiles restantes…
Pendant ce temps, dans une autre dimension, on parie que Bogey l’attendait de pied ferme, un petit verre à la main et une cigarette dans l’autre, pour fêter leurs retrouvailles définitives.

NB : Olivia de Havilland est toujours de ce monde. Elle a désormais 98 ans et vit à Paris. Tza Tza Gabor a 97 ans. Elle dit être « la prochaine sur la liste » depuis le décès d’Elizabeth Taylor.

*Pento : gomina populaire dans les années 30 (et toujours vendue) utilisée pour se laquer les cheveux.

* »Just put your lips together and blow… » : « Il suffit juste de joindre tes lèvres et de souffler… »

*Viande froide : se dit dans le jargon journalistique de nécrologies rédigées à l’avance et prêtes à l’emploi en cas de décès d’une personnalité.

*To have or to Have not : Titre original du Port de l’angoisse.

Betty et Bogey se marient en 1945.
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Chien, villa et jardin, le temps du bonheur chez les Bogart.
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Bogart Family : Sam le mini-Bogey, Humphrey, Leslie et Lauren.
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Brochette de stars : Lauren, Humphrey et Marilyn lors de la première de Comment épouser un millionnaire ?
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Lauren Bacall dans les années 50
Stephen Bogart a tout pris de son père... seuls les yeux bleus de sa mère, Lauren Bacall, diffèrent...
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SHB
Lauren Bacall et son fils en 2009, à la remise de son Oscar d’honneur.
Avec ses yeux là...
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Un portrait sans concession du photographe Andy Gotts en 2011 pour un livre de portraits de stars au profit de bonnes œuvres. Lauren Bacall s'est mise à nu sans pitié et sans lifting. Une fille de 87 ans qui avait encore du cran.
Un portrait sans concession du photographe Andy Gotts en 2011 pour un livre de photos de stars au profit de bonnes œuvres. Lauren Bacall s’est mise à nue sans pitié et sans lifting. Une fille de 87 ans qui avait encore du cran.
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