Il y a d’abord un clapotis qui se balance, quelques pas sur une plage de Méditerranée. Le choc des galets sur le sable humide et puis l’eau qui scintille comme une robe pailletée… Puis tout à coup, la rumeur gronde, les palmiers sont emportés par le vent, le Carlton s’anime, l’homme aux clefs d’or est aux aguets, les flashs crépitent comme autant de feux de bengale à la belle saison… chut, le voici, le voilà : le Festival de Cannes…
Nous sommes début Mai, le joli mois hésitant entre le frais printemps et l’été brûlant. Quand on lève la tête, la pureté d’un ciel bleu roi vous étreint, la toile du parasol tremblote, le pied nu ose se confronter au verdict d’une mer à la température aussi mesurée que le col d’une vieille fille…
Que c’était joli, Cannes dans les années 50 ! Que c’était joyeux… ! Quelque part, sur la plage, la môme Bardot pas encore femme créée par Vadim, s’adonne aux plaisanteries de Kirk Douglas, une actrice en goguette s’amuse à lui faire des tresses : elle est en bikini à fleurs, elle est encore brune, elle sourit, elle est belle, elle a la frange et le sourire mutins. Quelques années plus tard, cheveux d’or au vent, dans un cliché immortalisé en noir et blanc, elle courra sur la grève, jambes exilées de bas, jupon relevé sans pudeur, certes, mais sans rouerie calculatrice… Elle est Brigitte Bardot, elle se veut libre, elle veut s’offrir à l’astre brûlant, à l’eau salée, aux grains de sable qui collent sur une épaule dorée… elle est une fille du soleil et de la mer, une naïade à la peau nue qui se donne sans arrière-pensée, une femme qui se fiche des sillons parcheminant son visage caramélisé par le soleil, ce voleur de jeunesse… Elle est Brigitte Bardot, la fille de Saint-Trop’, tout le reste n’est qu’ennui…

Cannes, c’est le début de l’été : la Côte d’Azur, Monaco, la Riviera, les yachts, les calanques, le pastel de l’eau bleu, celle qui se trouble au contact d’un pastis dont le goût anisé fait claquer la langue contre le palais : il était bien tassé, ma foi, celui-là…
Le Festival de Cannes, et le monde entre avant l’heure dans l’été : les robes légères comme un souffle, le soleil insolent sur la côte alors que la France entière est grise, les glaces, les espadrilles… Quelque part dans le temps, avant que cette fête du cinéma devienne un marché commercial encore plus cupide et que la communication millimétrée pourrisse les stars en représentation, oui, quelque part, dans les arcanes temporelles, les stars d’alors s’amusent. C’est un peu la récréation. On est presque naturel. Les journalistes sont des camarades de jeux immortalisant leurs gamineries.
Vivien Leigh et Laurence Olivier sont tout sourire, lunettes de soleil sur Scarlett O’Hara et Sir Olivier en chaussettes dans ses nu-pieds… Romy Schneider rougit sous son chapeau Chanel blanc, pendant cette longue interview sur « Le Guépard » de son fiancé, Alain Delon, elle s’ennuie un peu, joue avec son verre, fait la moue, mais elle se réveille lorsque le journaliste bêta remercie le couple par un « Aurevoir Alain Delon, aurevoir Sissi ! », révèlant que l’Europe ne s’est pas encore remise de ce tsunami viennois dégoulinant de crème fouettée… « Pas Sissi, RO-MY ! » crie-t-elle en contenant son regard d’azur qui se durcit, souriante malgré la bêtise du journaleux n’ayant pas résisté à cette association idiote. Bon sang de bon sang, nous sommes en 1962, cela fait 6 ans qu’elle s’est débarrassée de cette impératrice d’opérette, elle a travaillé pour Visconti et s’apprête à tourner pour Orson Welles, de sa carrière, ne retient-on que cela ?

Le Festival de Cannes tenait de parenthèse où, entre deux représentations publiques, les stars semblaient reprendre une certaine normalité : un Charlie Chaplin méconnaissable avec ses cheveux blancs, en short et espadrilles fait sauter sur ses genoux ses deux filles, Robert Mitchum joue du ukulélé pour amuser la galerie, Gregory Peck s’attable à un bar, sur son yacht John Wayne essaie de faire marcher sa caméra, Liz Taylor essaye une rivière de diamants chez un joailler, Yul Brynner prend un café au Bateau Ivre, Marlene Dietrich toute de soie et fourrure vérifie sa coiffure dans un miroir avant le grand bain photogénique, Simone Signoret et Yves Montand sabrent le champagne, Claudia Cardinale se perche sur une paillote pour prendre la pose, David Niven est chahuté gentiment par ses amis au bord de la piscine… Autant de noms, autant de disparus, peu de survivants parmi tous ces fantômes immortels sur pellicule, à jamais figés dans une époque bénie où, si le star system existait déjà; il était alors bien moins impitoyable qu’à notre époque où internet abolit le temps et la distance.
Quelque part dans le temps, le Festival de Cannes augure un été radieux, solaire, joyeux… des 30 glorieuses de sépia ancrées dans la légende du 7ème Art. Quelque part, au XXème siècle, alors que le 3ème Millénaire se retourne sur cet âge d’or, malade de nostalgie, quelque part, oui, dans une faille temporelle, Cannes célèbre l’été.






Note : pour rédiger cet article, je me suis aidée du merveilleux livre de photos-souvenirs et anecdotes du photographe Edward Quinn (1920-1997) éditées dans l’ouvrage « Stars, Stars, Stars« , éditions Scalo,1996.
Délicieux article, Marie ! Je me suis régalée!…
Délicieux article, Marie! Je me suis régalée !…