
En Décembre, même Nabilla se couvre et se retire dans la monacalité d’une cellule de prison. L’hiver a décidément du bon.
Lorsque l’été a tout brûlé, des corps jusqu’aux blés, lorsque la rentrée d’automne a sapé notre énergie laborieuse et citoyenne de pauvres mortels, alors il ne reste plus que Décembre. C’est le dernier rempart avant la chute dans une nouvelle et vertigineuse année. Ce détestable saut vers l’inconnu que l’on essaye d’oublier à travers de piètres consolations : mensonge du cotillon de minuit, toast artificiels saturés de « Bonne Année », toutes dents dehors et yeux écarquillés de bonimenteurs, tenues aussi grotesques que pailletées. On a toujours besoin d’en faire trop, le 1er janvier. Avalanches de SMS convenus, d’un enthousiasme ignorant et stupide à ses frères de galère embarqués à nouveau pour 12 mois. Santé, bonheur, et autre bondieuseries dégoulinantes… C’est répétitif et moche. Ça vous donne la confiance d’un arracheur de dents, pince à la main et sourire d’artiste pour endormir son patient. Mais le tour de passe-passe ne trompera personne, la douleur sera bien là. Bonne année, bonne année ! Mais qui vous dit que l’on y arrivera entier, dans ce foutu merdier ? C’est pour cela qu’il est bon de se réfugier en Décembre, ce Pays de Cocagne d’où on aimerait ne jamais revenir. Car Décembre est nécessaire à l’humanité. Avec ses syllabes déclinantes, ce mois a la douceur d’une grotte enfouie. Casé au fin fond du calendrier, ce parent oublié tout au long de l’année a la discrétion ouatée d’une vieille tante recluse dans son salon désuet. Dans la pénombre, elle contemple ses dentelles fanées comme nous les mois écoulés. Décembre peut avoir le goût amer du dépôt bilan professionnel ou affectif. Décembre, trois syllabes, trois caresses au roulement final et sourd s’éparpillant comme autant de poussière de neige au moindre coup de vent. En Décembre, les chairs ont enfin la politesse de se couvrir. Un brin de pudeur n’a jamais fait de mal, surtout après l’exposition agressive des mois ensoleillés. Fini les tongs dévoilant sans délicatesse des orteils gras perclus de sable, terminé le règne de l’acrylique des maillots criard, foutue l’aisselle fauve à l’odeur de musc aigre. L’hiver discipline les négligences, l’hiver fouette de son blizzard martial la moindre parcelle exposée, l’hiver en martingale impose le souffle court et embué, l’économie des gestes et de la parole. L’hiver a des airs de caporal sans cœur. Couvre-toi ou crève ! Et pourtant, en hiver, il y a Décembre… cette pente douce qui enfonce le soleil chaque fin d’après-midi, fait allumer une bougie à cinq heures, exiger chocolat chaud et pain d’épices, fait battre en retraite les plus courageux « Il fait froid, on ne va pas tarder à rentrer ». Oh, la belle affaire ! Pour être heureux, restons cloîtrés ! En Décembre tout devient plus flou : les guirlandes scintillantes, les silhouettes à travers la brume, la fourrure ouatée du félin frissonnant… En décembre, il y a de vieux films à la télévision. On croise Cary Grant, Julie Andrews, Romy Schneider, Jean Marais, Errol Flynn, Olivia de Havilland ou Clark Gable, Lauren Bacall ou Grace Kelly, Marilyn ou Humphrey Bogart. Evidemment, il y a aussi du téléfilm ringard. Mais un petit navet regardé entre deux magazines feuilletés sur le canapé après le repas de midi fera passer le trop plein de dinde. A propos de gallinacé glougloutant, en Décembre, même Nabilla se couvre et se retire dans la monacalité* d’une cellule de prison. Tout ce silence bienvenu après tant de « Allô » idiots…. Toutes ces bimboseries** cadenassées… L’hiver a décidément du bon. Il fait taire les plus téméraires. Car il faut avoir du cran pour oser bâtir sa célébrité sur une paire de miches siliconées et une interjection téléphonique. Thomas Edison doit encore en faire des tours de cadrans dans sa tombe. Mais taisons nous plutôt, et savourons cette paix providentielle. Avec son calme et ses froidures propices à l’endormissement ou à la réflexion, Décembre est une frontière utile avant le basculement du 31. Décembre passe toujours trop vite : ses beautés festives, son parfum d’épicéa cannelé, son solstice ordonnant un soleil pâle et absent, ses flonflons électriques qui embellissent les villes devenues soudain capitales de contes de fées… Décembre nous fait tourner au ralenti. Décembre est une hibernation bienveillante, une anesthésie sereine sur nos maux passés. Décembre est une nécessité.
* & ** : néologismes voulus par l’auteur.