On commente la taille, on évalue le poids de l’enfant à naître, pour un peu on se croirait à une foire aux bestiaux. C’est impoli, intrusif, indécent. Et pourtant ancré dans l’inconscient collectif des mal-élevés.

Cela se compose de trois labiales qui semblent rebondir : Baby Bump. Traduisez l’intraduisible en français par le lourdingue ‘bosse du bébé‘ et si on extrapole ‘ventre rond’, ‘ventre de femme enceinte‘. Et pourquoi pas, ‘balle au centre‘, tant que l’on y est ? Depuis quelques temps, cette expression toute aussi anglo-saxonne que grossière, fleurit dans la presse people de tous bords : papier, télé ou internet, chacun a droit à ce double saut d’obstacle qu’est la prononciation de ce mot. Essayez, vous verrez : baby bump. Si peu gracieux que l’on a l’impression qu’un goitre vient se greffer sur vous lors de son allocution.
Depuis que Kate Middleton est enceinte, on ne parle que d’entrevoir sont « baby bump » désespérément invisible, et dès lors, les supputations malveillantes vont bon train : Kate serait-elle une mummy-rexic ? Autre croisement savant de « mummy » et de « anorexic« , syndrome de ces futures mamans préférant s’affamer pendant leur grossesse. « Grossesse« , le mot est lâché, lui aussi. Rien de plus affreux que ces syllabes qui se traînent comme une limace dans la bouche, avec ses allitérations moqueuses. « Où sont toutes ces grossesses qui sifflent sur vos têtes…« , hein ? Sous prétexte que l’on est en gestation, la « grossesse » veut que l’on soit « grosse », et donc que cela se voit. Obligatoirement. Pas vu, pas pris. Prise… touchée ! Une fois que la nature s’empare du corps de la femme, tout ce qui est extérieur doit appartenir au monde entier. Un ventre proéminent ? Vite, le badaud, la cousine, l’oncle, le neveu, l’épicier, la meilleure copine sont attirés comme un aimant vers cette excroissance quasi-sacrée, la toucher étant un droit absolu que s’arroge l’entourage de la future maman. Cette dernière n’a rien à dire et doit se laisser palper tel un melon sur un étal. On commente la taille, on évalue le poids de l’enfant à naître, pour un peu on se croirait à une foire aux bestiaux. C’est impoli, intrusif, indécent. Et pourtant ancré dans l’inconscient collectif des mal-élevés. Malheur aussi à celles qui ont l’air d’avoir avalé une pomme en guise de baby bump ! Or, c’est le cas de Kate Middleton, doit-on le rappeler : matrice d’un héritier ou d’une héritière de la couronne, elle-même future Princesse Consort un jour… Quelle pression dans ses entrailles ! Kate n’a pas intérêt à merder. No mistake. No miscarriage. No, no, no… tu n’as pas le droit à l’erreur, Kate, de même que tu n’as pas le droit de cacher ce ventre que l’on aimerait voir… Et là, les paparazzis s’en donnent à cœur joie. Non contents d’avoir découvert en septembre dernier que Kate est une femme comme les autres*, c’est-à-dire dotée d’une poitrine on ne peut plus normale, eh bien, ne leur en déplaise, il faut pousser le bouchon encore plus loin : que l’on nous montre ce ventre royal, prometteur de descendance amenée à régner sur des millions de sujets dans le monde entier, à nourrir toute une industrie touristique, et surtout la presse people… Croissez, multipliez… Pour rien au monde je ne voudrais être Kate Middleton, même si on peut se permettre le cynisme de dire : « Elle a signé, elle fait le job !« … Non, vraiment, le baby bump outrepasse les limites de l’incorrection. Et, toute future reine soit-elle, une solidarité féminine me pousse à la défendre.
Photographiée sous toutes les coutures, de face, de profil, en contre-plongée, en vacances, à Cambridge, in London, in the street etc, on se presse depuis des mois d’apercevoir la royale brioche, preuve que Kate est une bonne mère nourricière en gestation, que la sotte aura le bon sens de s’empiffrer de cheese-cake et de scones pour nous faire un Bébé Cadum joufflu et en pleine santé… Allons Kate, montre-nous que tu es une real mother, fucking shit ! On s’inquiétait, on devisait, on comparait comme à la Foire Agricole : regardez Kim Kardashian, elle, au moins, on ne peut pas douter qu’elle va nous pondre un beau petit taureau, hein ? Tandis que Kate, sur la photo de gauche, là, ce n’est pas très obviously, tout ça… Comme dans le jeu idiot de « Où est Charlie ?« , on disait « Where is Kate’s baby bump ? »… Nom d’un corgi ! Et puis, cette semaine, le miracle est arrivé, divin pour la presse people et les guetteurs malfaisants : lors d’une cérémonie officielle, Kate arborait une délicieuse robe années 50, à taille haute, le volant flottant autour d’un ventre d’une rondeur sans équivoque, prometteuse, féconde. Kate était enceinte et cela se voyait ! Kate était donc une parturiente comme les autres ! God Save the Mum ! Mais au beau milieu de tout cet hallali aussi bête et féroce qu’une chasse à courre, au milieu de cette course au scoop de qui publiera le cliché sans équivoque d’un ventre répondant aux enjeux politiques, économiques et aux attentes esthétiques des gogos, l’expression baby bump et son usage ad nauseam est une atteinte à la liberté d’une femme, certes personnage public (‘personnage‘, le mot est bien choisi pour cette mascarade royale, don’t you think ?), mais future mère avant tout qui a le droit à un minimum de sérénité dans l’attente de son premier enfant. Car être enceinte n’est pas une sinécure. Oh non, surtout la première fois et dans un contexte aussi particulier qu’une monarchie-vitrine génératrice de millions de pounds. En dehors de l’aspect léger de la chose ‘Tiens, allons voir comment est le ventre de Kate aujourd’hui ! » et en apparence inoffensif, le baby bump est une intrusion envers la dignité d’une future mère, sans doute stressée comme toutes les autres, ici confrontée à un jugement public permanent.Peu importe qu’elle soit riche à millions, qu’elle soit amenée à codiriger une des plus grandes nations du monde, à faire la pantomime pour un folklore lucratif et qu’elle soit célèbre, Kate Middleton et son ventre ont le droit qu’on leur foutent la paix !
* Rappelons qu’en septembre 2012, une série de clichés pris au téléobjectif lors du séjour en Provence de Kate Middleton et de son époux dans une propriété privée, les tabloïds avaient publiés des clichés de la future reine en monokini. Le Prince Williams et la Princesse Kate attaquèrent au tribunal pour interdire la publication de ces photos. En vain, elles alimentèrent la presse à sensations suédoise notamment.


